Coupés du monde

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Parmi les modèles trop rarement cités dans les palmarès des automobiles les plus désirables, la Renault 17 a une place particulière, sans doute à cause de ce qu’évoque, ou plutôt de ce que n’évoque pas, a priori, la marque dont elle est issue.

Un coupé Renault, ça a toujours été quelque chose d’un peu compliqué à concevoir. Non pas que la marque ne sache pas en construire; non, c’est le concept même qui a l’air de ne pas se forger dans l’esprit des clients et observateurs. Un peu comme le concept de Maybach low-cost. Sauf que Renault a réellement construit des coupés, et que ceux-ci valent, en fait, le déplacement.

Le problème vient peut-être du fait que ce que nous retenons de la marque dans les années 70, et ce qui va marquer durablement l’idée même qu’on s’en fait jusqu’à aujourd’hui, ce sont les révolutions qu’elle a opérées en termes de fonctionnalité. Renault, c’est l’apparition du hayon, de l’habitacle modulable, du bouclier en plastique, du moteur transversal en porte-à-faux avant, qui dégage une place immense pour les passagers, et ce dans des véhicules aux dimensions contenues. C’est donc l’usage en tant que moyen de déplacement qui reste, dans les esprits, la marque de fabrique du losange.

Or un coupé, à strictement parler, n’est pas défini avant tout par son usage comme dispositif apte à déplacer quelques personnes d’un point à un autre. Il s’agit plutôt, surtout dans ces années où n’existaient pas encore de cross-overs comme les « berlines-coupés » que nous connaissons aujourd’hui, d’engins avant tout définis par leur mécanique agréable, et leur aptitude à épouser le conducteur au plus près pour qu’il fasse corps avec la machine. L’agilité, le contact le plus direct possible avec les éléments sont les critères qui définissent, dans les années 70, un coupé digne de ce nom.

Aussi, quand Renault extrapole, à partir de la plateforme de la R12, les coupés 15 et 17, il se passe quelque chose d’un peu étrange. Dans les esprits, Renault, c’est la 4L, l’Estafette, c’est aussi la R16, qui est avant tout marquée par son esprit éminemment pratique, à la frontière du break et de la berline (en ce sens, le plus bel héritier de la R16, c’est la BMW série 5 GT, de nos jours). Que la marque sorte un coupé, ça semble presque incongru. Pourtant, le losange n’est pas sans légitimité sur le terrain sportif, il a même à son actif un passé prestigieux. Depuis que Gordini ensorcelle les modèles de la marque. Mais justement, c’est peut-être là le problème : les modèles que Renault engage en compétition sont précisément des voitures populaires, dont on ne soupçonnerait pas a priori le potentiel sportif. Ainsi, la fameuse Renault 8 ne semblait pas créée pour tout rafler sur les circuits, mais Amédée Gordini sût tirer de son architecture particulière et de son poids plume les ressources nécessaires pour en faire une bête de course. A l’époque ou sortent les coupés 15 et 17, c’est la R12 qui subit l’envoûtement du sorcier italien, et le principe est toujours le même : le sport est incarné chez Renault par un modèle dont on ne s’attend pas à ce qu’il puisse rechercher la performance.

Il est d’ailleurs probable que quelque chose se joue, à cette époque, autour des attributs esthétiques que les designers utilisent pour signifier visuellement le caractère ambitieux et joueur de ces modèles : l’alliance du bleu Gordini et des bandes blanches (deux, longitudinales, sur les R8, une et demi sur les R12, qui ceinturait toute la voiture, traversant capot et coffre). A strictement parler, regarder les sportives au losange de ce temps là, c’est un peu comme voir son expert comptable en survêtement, et s’apercevoir qu’il fait un super temps au sprint.

Le problème, c’est qu’en 1971, les Renault 15 et 17 tentent quelque chose de nouveau, qui prend tout le monde au dépourvu. Il s’agit d’un coupé, puisqu’il n’a que deux portes. Mais c’est un coupé relativement spacieux, sans pour autant pouvoir entrer dans la sphère des GT. En somme, il se situe à mi-chemin, entre la Datsun 240z et l’Alfa Roméo Alfetta GT : un coupé qui a des prétentions en terme d’esprit pratique, puisqu’il est équipé de ce fameux hayon que la Renault 16 a osé proposer en dehors du cercle fermé des voitures « commerciales », sans pour autant devenir une grande voiture, ni un GT de luxe, ni même proposer des mécaniques nobles et puissantes. Comme souvent dans l’histoire de la marque, les R15 et R17 sont des hybrides, qui pourraient prétendre satisfaire des besoins multiples, mais qui oublient que le coupé est moins une réponse à un besoin qu’une invitation au désir. En fait, en ce temps là, on s’en fout un peu qu’un coupé soit contraignant, puisqu’on pense que c’est le prix à payer pour profiter pleinement de la seule chose pour laquelle il est conçu : le plaisir du contact direct avec la route.

En fait, ces deux coupés que Gaston Juchet avait conçus comme des frères, le 17 ne différant visuellement du 15 que par ses custodes à lamelles qui sont loin de n’être qu’un détail, puisqu’elles changent totalement le profil de la voiture, sont le premier épisode d’une sorte de malentendu que Renault entretiendra durablement avec le monde des coupés, la Fuego constituant l’épisode suivant, l’Avantime demeurant à ce jour la conclusion triste de cette histoire. Cette dissonance persistante se répercutera même sur l’historie héroïque que la marque entretiendra avec Alpine : plus les Alpines seront des Renault, et plus elles constitueront des propositions qui auront du mal à trouver un public, en partie parce que le public n’identifie pas Renault comme une marque censée proposer des petits véhicules mal-pratiques et inconfortables, pas plus que le plaisir de voyage ne s’y incarne dans l’esprit « coupé » tel qu’on l’imagine chez les autres constructeurs. Les GT, chez Renault, demeurent des berlines fantasmes, comme la Safrane Biturbo, des berlines méconnues, comme la Vel Satis animée par un 3,5l extrait aux forceps de la Nissan 350z, des monospaces de compét’, comme l’Espace IV propulsé par le même V6 que la Vel Satis qu’on vient d’évoquer, ou bien encore des propositions qui sont à elles-mêmes leur propre concept, comme l’Avantime, épatant échec, perdante magnifique.

Un petit symptôme, tout de même, qu’avec le temps on comprendra ce que Renault a voulu faire depuis les années 70 avec ces  coupés paradoxaux : cinq jeunes chevelus australiens, ayant fui l’hémisphère sud pour venir s’installer à Berlin pour y jouer une musique qui tente, elle aussi, de croiser des mondes étrangers les uns aux autres, tels que Daft Punk et les chœurs hyper-harmonieux de la surf-music, sortent ces jours ci un mini-album réunissant leurs premiers titres de gloire. Leur groupe se nomme Parcels, et leur lp s’intitule Hideout. Quel rapport avec les coupés Renault des années 70 ? La pochette de leur album, réalisée par le photographe Philippe Jarrigeon, qui plonge dans le coffre d’une Renault 17 rouge, rempli de valises aux couleurs savamment et très savamment désassorties, invitation à partir en bande vers des contrées plus enchantées. La musique de Parcels semble pouvoir sonner à la perfection sur un autoradio K7 de ces temps là. Seuls des australiens installés à Berlin, accompagnés pas un photographe parisien dont les oeuvres contiennent assez rarement des automobiles, sans doute débarrassés de tout a priori sur ce qu’est censé être une Renault, pouvaient saisir en une image l’essence particulière de ce qu’est un coupé porteur du fameux losange : une voiture à vivre, comme toutes les autres.

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