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In Legende Automobiles, Non classé, R5 Turbo 3
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Ces derniers jours., impossible de passer à côté. La R5 Turbo 3 de Légende Automobiles est partout : sur nos écrans tout d’abord (et on ne saurait trop conseiller d’en découvrir la genèse et pas mal de secrets sur l’article que lui consacre le TRES beau site De l’Essence dans mes Veines), puis dans les têtes, sur les lèvres ; elle surgit de l’obscurité sur la face interne des paupières quand on ferme les yeux, elle peuple nos rêves, elle habite, simultanément, nos souvenirs et nos espoirs.

Et c’est peut-être ça dans le fond, le rétrofit : une aptitude à l’omniprésence temporelle, le pouvoir d’émerger d’un passé déjà profondément enfoui et de se projeter de façon parfaitement naturelle dans l’avenir, comme si de rien n’était. Une façon d’habiter le temps, de faire comme chez soi entre passé révolu et promesse d’avenir ; comme une bonne vieille amitié réactivée à la moindre retrouvaille, même après des années d’absence. Les années n’y font rien, quand on est bien ensemble, on est bien ensemble, parce qu’on se souvient qu’on l’a été, et parce qu’on sait qu’on le sera encore. C’est aussi simple que ça.

Dans les vieux pots…

La relation avec la R5 Turbo est marquée par ce genre d’évidence. On doit être nombreux à se souvenir de sa première apparition, en vrai ou en image. On doit être quelques uns à avoir détaché d’une revue des années 80 le poster central sur lequel elle trônait, en action dans une spéciale, ou soigneusement photographiée comme un modèle si loin et si proche à la fois, bien plus accessible qu’une Ferrari, presque à portée de main, et appartenant pourtant à cette classe d’êtres qu’on savait distants, comme si leur existence se déroulait sur un autre plan, dans un univers parallèle qui, au mieux, tangenterait le nôtre de temps à autres, sous forme d’apparitions ponctuelles, de flashes qui imprimeraient durablement la rétine, au point d’en garder l’image fantôme à vie, comme tatouée dans l’esprit, toujours là même quand l’objet aura disparu. On dépliait soigneusement l’image avant de la punaiser au mur ou, tiens, non, plutôt au plafond, pour l’avoir bien en vue au moment de fermer les yeux. La 5 Turbo était ce genre de créature qu’on ne faisait que croiser sans que jamais elle ne puisse s’installer dans la sphère du quotidien : dans un salon de l’auto, dans une revue, ou bien à la télé, dans le compte-rendu d’une épreuve du championnat du monde de rallye, tous projecteurs allumés, perçant la nuit d’un faisceau qu’on aurait volontiers désigné comme puissant, si cet adjectif n’était pas, déjà, accaparé par la mécanique située en lieu et place de la banquette arrière, épaulée par ses fameuses ailes hypertrophiées, chargées d’alimenter en oxygène la mécanique suralimentée qui ensauvageait la petite citadine.

Let the Freaks flag fly

La 5 Turbo, c’était une galerie de monstres à elle toute seule. Formellement, elle aurait pu être l’œuvre d’un Dr Frankenstein, assemblage presque contre-nature d’une modeste traction citadine et d’un train arrière de voiture de sport, comme si le postérieur vorace avait embouti l’avant sans vraiment lui demander son consentement, enfantant de force un être hybride nouveau, précurseur d’un genre encore inédit. Les monstres sont toujours d’autant plus monstrueux qu’ils ont quelque chose de commun, comme si pour mieux nous approcher, ils empruntaient des traits familiers, histoire de se glisser près de nous et parvenir ainsi à nous piéger. De la R5, la Turbo a la bouille sympa, le regard simple et expressif d’un personnage de manga : grands yeux écarquillés, juste assez ouverts pour constituer un vrai regard, aux angles juste assez arrondis pour avoir l’air expressifs. On reconnaît la citadine populaire, on éprouve toujours de la sympathie pour elle mais celle-ci se mélange désormais avec un franc sentiment d’intimidation : soudain, on sent que les formes cachent quelque chose, qu’il y a une force obscure qui sommeille sous le renflement des ailes, derrière le bouclier élargi, derrière les grilles d’aération. La sauvagerie potentielle de la mécanique, les pulsions brutales qui peuvent animer la bête se devinent, sous le bouclier arrière, par les vitres, dans l’échappement. C’est un peu comme si on retrouvait une cousine après que la puberté ait fait son œuvre : c’est elle, et pourtant ce n’est plus tout à fait elle, parce qu’on sent bien que des forces cosmiques l’habitent désormais, et que les jeux auxquels elle invite ne sont plus tout à fait aussi anodins que par le passé. On fait moins le malin, et on se dit que désormais, il faudra demander l’autorisation pour s’en approcher, parce qu’elle relève désormais du sacré, de l’inapprochable, et qu’il se pourrait bien qu’on ne soit pas tout à fait à la hauteur des énergies fondamentales qui la traversent.

Reborn this way

Il n’est pas très surprenant que de tels êtres appartiennent au cercle fermé des immortels. Certes, matériellement, Legende Automobiles va bel et bien la ressusciter. Mais c’est un peu comme la Belle au bois dormant : les naïfs croient que c’est le Prince charmant qui profite de son sommeil pour lui voler un baiser, provoquant ainsi son réveil. En réalité c’est l’inverse : c’est la beauté mystérieuse de la Belle, veillant en elle comme un courant constant qui maintient l’essentiel des fonctions en œuvre pendant que toutes les autres sont au repos, attire à elle le Prince, qui ne fait que ce que lui dicte ce corps étendu là, disponible et passif en apparence, alors qu’il est en réalité à l’affut, prêt à saisir celui qui se laissera charmer.

Ca fait manifestement un bail que Charly Bompas et Alain Derosier sont sous le charme de la Bête, et que ça les démange de s’en approcher pour insuffler un peu de vie dans ses naseaux. Et mine de rien, en preux chevaliers, ils sont en train d’y parvenir. Prudents, ils ne travaillent que sur des vestiges de R5 normales, préférant laisser les Turbo d’époque tranquilles. Respectueux, ils ne comptent pas proposer une forme de R5 Turbo que n’habiterait qu’une silencieuse puissance électrique. C’est bien un quatre cylindre turbocompressé qui prendra place à l’arrière, avec tout ce que ça suppose de tympans martyrisés, et de nécessité d’appeler un exorciste pour soigner celui qui se mettra au volant, si on veut le lui faire lâcher un jour.

Pour autant, la Turbo 3 ne sera pas une simple copie conforme des Turbo 1 et 2. Il ne s’agit pas de répéter l’histoire, mais de la continuer. Aussi, ce taureau nain sera immédiatement reconnaissable à sa signature lumineuse, typiquement contemporaine. Et à l’intérieur, les formes de l’habitacle originel habilleront ce que la technique du 21e siècle permet de faire. La proposition demeurera manifestement sobre, mais elle ne se privera pas non plus de ce que, depuis les années 80, nous avons appris à faire.

Fin de l’Histoire

Il y a un sens historique dans l’émergence de ces propositions rassemblées sous le nom un peu fourre-tout de Restomod. Beaucoup pensent que les contraintes techniques pesant désormais sur les constructeurs auront pour effet de mettre à mort le moteur thermique, comme si l’automobile allait disparaître sous les coups d’une hypothétique cancel-culture. On peut faire le pari inverse : la marginalisation du moteur thermique va au contraire en développer la culture. Parce qu’il va se faire plus rare, il va aussi devenir plus précieux. On en prendra soin, on y sera plus attentif et si on roule au rythme de ses explosions, ce sera par choix, et plus par défaut. Les automobilistes qui auront encore à mettre en branle quelques cylindres pour pouvoir se déplacer sauront mieux ce qui se joue sous le capot, quelle orchestration pyrotechnique réclame chaque étape de la mise en mouvement de leur voiture.

C’est à une renaissance qu’on assistera. Mais voila, pour renaître, il faut d’abord disparaître. Le 3 de cette 5 Turbo peut être lu comme la synthèse finale du mouvement dialectique qui veut que tout ce qui apparaît soit un jour appelé à disparaître pour mieux asseoir sa présence au monde. Bonne nouvelle finalement : l’Histoire elle-même ne fonctionne pas comme un courant alternatif. Elle a plus à voir avec le cycle du moteur à explosion qu’avec l’opposition binaire des bornes d’un circuit électrique.

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