C’est extra

In Advertising, Art, Seat
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Qu’est-ce qu’une bonne pub ? Bonne question. On peut réaliser de superbes images, et proposer néanmoins une publicité plutôt médiocre. On peut en voir ces jours ci un exemple avec le spot présentant la 508 PSE : soin extrême dans la photographie, post-production gigantesque, effets d’eau et de lumières XXL. Et au final, seul ceux qui savent ce qu’est cette voiture peuvent comprendre pourquoi on fait un film spécifique pour cette déclinaison particulière et nécessairement très, très confidentielle d’un modèle que tout le monde connaît déjà. Et accessoirement, on se demande pourquoi prendre autant de soin dans le rendu visuel pour qu’au final on ait l’impression gênante que les roues grand format de cette 508 tournent un peu dans le vide, comme si les hectolitres de flotte tombant du ciel comme pleuvent les vaches qui pissent faisaient perdre à ce modèle haut de gamme toute forme d’adhérence sur le goudron.

On peut aussi faire la liste des équipements d’un modèle, et tenter ainsi de convaincre l’acheteur potentiel que pouvoir arroser tout un parking avec le réseau Wifi embarqué par une bagnole, ça permettra de gagner en popularité.

On peut être malin, drôle, intelligent, concocter des scénarios super bien trouvés, oser provoquer un peu la portion écologiste du public pour susciter de l’intérêt, faire parler dans les chaumières et faire grimper le taux d’engagement sur les réseaux sociaux, on peut conscientiser, soutenir de nobles causes, on peut surfer sur les vagues sociétales pour faire croire qu’une Clio, ou une Volvo, c’est un peu comme un meuble Ikéa, un objet hyper soucieux de conscientiser le monde entier sur la dure vie des minorités.

Mais parfois le mieux, c’est de faire tout simplement n’importe quoi.

Sauf qu’en matière de pub, le n’importe quoi, ça n’existe pas.

Ainsi, il est possible qu’une des meilleures pubs récentes pour une bagnole soit le spot qu’on voit régulièrement passer, ces temps-ci, sur nos écrans, le seul à vrai dire qui nous fasse tapoter du pied par terre, dodeliner de la tête, et afficher sur notre visage, bien planqué derrière le masque, un bon gros sourire. On ne sait pas si la joie de vivre est un état d’esprit qui suscite l’impulsion d’achat, mais ça peut produire des spots qui marquent durablement l’esprit. Et parfois, le plus court chemin vers l’esprit n’est pas l’intelligence, mais le corps.

Et c’est à ce carburant purement dionysiaque que carbure la campagne de pub pour les Seat Ibiza et Arona, qui derrière son allure joyeusement dilettante, est en fait réalisée par une pointure de ce genre, Scott Lyon. Et si je partage son nom, c’est en me faisant un peu violence, parce que ses spots sont généralement tellement bons qu’ils font partie de ces choses qu’on a envie de garder pour soi, afin de regarder les autres en se disant que oui, oui, ils sont cultivés certes, mais quand-même, ils ne connaissent pas Scott Lyon. Les pauvres.

On dirait le Sud

Les deux spots Feel the beat sont comme des cocktails conçus pour être tenus à la main plutôt que dégustés au bord de piscines peu profondes, pas vraiment prévues pour y faire des longueurs. Un verre plein de couleurs qui permet d’adopter une attitude en phase avec le soleil, la détente, le plaisir de vivre. A la sono, le duo amstellodanois MariaDennis envoie sa rythmique dégingandée dans les enceintes Beats, qu’on devine exactement calibrée pour ce genre de production fondée sur des basses profondes et métalliques, comme si Optimus Prime se laissait pousser les ongles pour les frotter le long des lames d’une moissonneuse batteuse, afin de lancer une chaine Youtube dédiée à l’ASMR.

Au volant, un gars, une fille. Respectivement, lui, dans l’Arona, elle, dans l’Ibiza. Deux jeunes gens enjoués mais pas naïfs, pas vraiment ici avec nous, plutôt « là », un peu à distance, en décalage comme on dit de certains originaux qu’ils ont leur propre univers, ou qu’ils sont plongés dans « leur truc ». Tous deux ont leur carte de membre au club des gens pas vraiment très beaux, mais mignons. Du coup, pas de phénomène de décalage avec le public : on n’achètera pas une Seat pour vampiriser leur beauté. Ibiza et Arona sont des voitures qu’on peut conduire comme on est, quoi qu’on soit. On les regarde dodeliner de la tête sous le martèlement infrasonique de You Extra, et déjà, on s’attache un peu.

Parce que lui, comme elle, sont étrangement seuls. Ou plutôt : ils sont accompagnés de façon tellement étrange que c’est un peu comme s’ils étaient encore plus seuls que s’ils étaient vraiment seuls. Trois passagers cruisent avec eux, hochant synchroniquement la tête au son du beat électro. Trois créatures entièrement faites de pure beauté plastique, comme si on avait fabriqué des répliques des personnages de Madagascar sous forme de ballons gonflables. Bon, pas tout à fait les persos de Dreamworks à vrai dire. Remplacez le lion par un lézard géant, l’autruche par un flamand rose, gardez quand même l’hippopotame, et voici les passagers au grand complet, ondulant en cœur dans l’habitacle.

Univers flashy-les-coloris, monde saisi en technicolor, nonchalance et coolitude. Ibiza et Arona ainsi habitées incarnent le Sud, la chaleur, la nécessité de se désaltérer, le soin mis à avoir l’air décontracté. Chemise piquée à Magnum, dégaine laid back, absence totale de toute inquiétude. Et tout ça, c’est la Seat qui le permet. L’habitacle est comme un aquarium qui protège du monde extérieur.

Le Monde entier est un cactus

A vrai dire, il est possible que la clé de cryptage de ces deux spots se trouve dans cette séquence au cours de laquelle l’Arona passe à l’aplomb de grands cactus dardant leurs piques sous le soleil brûlant. On devine nos créatures toutes faites de caoutchouc un peu flippées de cette proximité mais pas d’panique ! Bien planquées derrières les vitres fumées, elles sont protégées, et peuvent continuer tranquillou leur bonhomme de chemin.

Joviales, ludiques, colorées et fragiles, ces figures géantes sont l’image d’enfants dont on aurait gommé tous les aspects potentiellement pénibles. Habile façon de ne pas positionner Seat du côté des familiales, en lesquelles les jeunes célibataires n’ont pas envie de, déjà, se reconnaître. Er en matière de publicité, il ne faut jamais oublier qu’il n’y a rien qui aime autant se reconnaître dans une image fantasmée de la jeunesse que ceux qui ne sont plus tout à fait jeunes. Habile façon aussi de ne pas injurier pour autant l’avenir. Car un jeune célibataire est toujours un parent en puissance, qu’il l’avoue ou pas. Et tout parent est, inversement, un adulte qui rêve parfois de l’être un peu moins, ou de ne l’être plus du tout, ne serait-ce qu’un instant. Et en partant au boulot le matin dans la voiture familiale, on peut parfois nourrir le désir un peu secret de passer, aux yeux des autres automobilistes, pour un homme ou une femme disponible.

C’est goooOOOoonflé

Quoi de mieux alors que des passagers remplis d’air, qu’on puisse gonfler ou dégonfler selon qu’on a envie, ou pas, d’être accompagné ? Des êtres qui auraient par instant besoin de protection, par moment feraient les andouilles à l’arrière, ingérant des gaz hilarants pour prendre du volume et tasser les autres passagers contre les vitres, des êtres formant un crew autour de soi pour avoir une stature en société, mais des êtres dont on puisse aussi ouvrir la valve pour les aplatir, les plier soigneusement pour les planquer dans le coffre pour un moment en off, seul, ou seule; ou accompagné, ou bien accompagnée.

Des enfants, qui auraient comme la troisième rangée de siège tout à l’arrière des monospaces, la possibilité de se plier sur eux-mêmes et disparaître dans le plancher du coffre. quand on n’en a plus besoin, ou qu’on a carrément besoin de leur absence.

Et voila comment derrière l’apparent n’importe quoi d’une publicité on arrive à cacher l’expression faussement désinvolte d’un individualisme tout à fait contemporain, qui revendique la nécessité de la présence des autres, mais ne veut prendre d’eux que le plus agréable. Tu m’gonfles ? J’te dégonfle !

Et au passage, les deux spots relaient, mais sans le faire remarquer consciemment, une tendance souterraine consistant à concevoir la « famille » selon une configuration nouvelle. Ca fait un moment qu’on entend, particulièrement dans l’univers factice (mais il n’y a rien de plus proche de la réalité que la facticité (notez cette phrase, méditez la… Voila, vous pouvez commencer à lire Hegel et Guy Debord, vous voyez que vous ne perdez pas votre temps en lisant des blogs auto ?)) des influenceurs, des mots utilisés selon un sens nouveau : « Frérot », « la famille ». Les amateurs de la chaine Youtube GMK, dont je fais partie (oui, je suis schizophrène), voient très bien de quoi je parle, mais le phénomène se répand bien au-delà de la sphère des réseaux sociaux. La famille n’est plus ce à quoi on est nécessairement lié. Elle est choisie, ce qui permet de se considérer comme un intermittent de la famille, d’en être uniquement quand ça nous chante ou quand ça nous plait. Famille low-cost, qui ne réclame pas beaucoup d’efforts, ni d’investissement. Le beurre, l’argent du beurre, le boul’ de la crémière, tout ça tout ça.

Réminiscence

Comme toujours dans la publicité, le délire est en fait très bien borné. Tout est sous contrôle, chaque chose est à sa place. Il suffit de regarder les deux spots pour s’en rendre compte : rythme identique, même séquence finale : fine équipe dans la piscine repoussant hors cadre ceux qui ne sont pas de cette « famille », plan cinétique sur la Seat roulant dans la lumière de fin de journée, puis pack-shot sur la bagnole, son conducteur humain et ses potes qui rentrent chez eux. Couic Couic de la fermeture centralisée, et toute la petite bande file vers le bord droit du cadre, comme s’ils posaient là, à côté de la voiture, trois points de suspension. La suite de l’histoire, on la connaît : on file chez le concessionnaire Seat pour acheter une Ibiza pour les filles, une Arona pour les gars.

Mais on pense que Scott Lyon n’est pas uniquement un type cynique qui réussirait à pervertir la conception traditionnelle de la famille juste pour titiller nos pulsions égocentrées et nous faire acheter des voitures à quatre places pour notre unique plaisir personnel. Plus on regarde ses spots, et plus il semble évident que c’est un véritable réalisateur, c’est à dire quelqu’un qui développe un langage visuel, et qui dès lors qui est nécessairement attentif aux autres réalisateurs, et aux autres films.

Et c’est peut-être pour cette raison que la campagne Feel the beat nous rappelle, un peu, une série de spots beaucoup plus ancienne, qui ne faisait pas la promotion de voitures, mais de jeans vraiment très, très bien repassés, mise en scène, et en musique s’il vous plait, par Quentin Dupieux en personne pour l’image, et par Mr Oizo, son versant sonore, pour la bande originale. Et comme le monde est bien fait, bien que ce soit une pub pour des fringues, on y voit des bagnoles, aussi. Le plus souvent une muscle car dont le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’elle est dans son jus. La Chevrolet Chevelle, même rapiécée de partout, demeure superbe de présence. Pas au mieux de sa forme, certes, mais l’essentiel est là : l’autoradio K7 fonctionne. Et c’est au son du Flat beat de Mr Oizo que Flat Eric et son pote, Angel, cruisent dans la ville, avant d’entendre la sirène caractéristique des flics à moto et de se ranger sur la bord de l’avenue pour une inspection en règle du coffre, qui se révèle un réceptacle absolument impeccable dans lequel est méticuleusement rangée la collection de vêtements Sta-press du seul des deux occupants de la voiture à porter des vêtements. Scénario minimaliste, musique réduite à sa plus simple expression, mise en scène modeste. Tout semble être directement prélevé directement dans la rue. Et pourtant, tout en laissant manifestement les mains de Quentin Dupieux plutôt libres, tout est exactement à sa place. Chaque plan est nécessaire, tout fonctionne, au point qu’on ne peut même plus voir là du cynisme : la marque sait qu’elle est déjà connue, qu’elle doit juste entretenir une flamme allumée depuis longtemps, et qu’elle peut alors se permettre de laisser de jeunes réalisateurs prendre le volant : ils feront nécessairement du bon boulot.

Le côté mystérieux de la publicité Levis, c’est qu’elle est difficilement lisible : on ne peut que difficilement la décoder, et quand on le fait on ne peut qu’émettre des hypothèses dont aucune ne pourra être vraiment vérifiée. C’est ce qui fait de cette série de spots un miracle comme il en arrive peu dans le monde très cadré de la publicité. Tout ce qu’on pourra en dire, après coup, c’est que parfois le monde de la vente mainstream peut rencontrer la production indépendante, et ces deux univers peuvent dialoguer sans que le plus costaud des deux détruise l’autre. Quentin Dupieux n’a à ce jour jamais perdu l’indépendance et la rigoureuse liberté qui le caractérisent. Et c’est sans doute ça, l’aliment le plus nourrissant de Flat Eric : il est un mercenaire sans guerre, qui vient juste foutre le bordel dans des univers pas vraiment faits pour lui.

C’est un personnage gonflé, quand les baudruches de Seat ne sont que des ballons gonflables. Mais c’est aussi un signe des temps que nous traversons : au bout du compte, cette époque et pas mal des choses qu’on y croise, se dégonflera d’elle-même. Et comme un pneu qui fuit doucement et nous condamne peu à peu à rouler sur la jante, tout ce que nous croyons si important aujourd’hui fera, comme disait l’autre, Pschuitt.


Allez, c’est cadeau :

Et pour finir en toute beauté, ce véritable court métrage, tellement dupieuxesque :

2 Comments

    • Je n’avais pas intégré ce clip à l’article, parce que ce n’est plus vraiment une publicité, mais je l’adore. La trogne des deux Flat Eric est impayable, et puis surtout, c’est vraiment archétypique du jeu permanent qu’entretient Dupieux avec les codes de la narration cinématographique, la mise en boucle du récit par la récupération de la perruque, je trouve ça tellement malin que ça en devient génial 🙂

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