To be or naut to be

In Design, Mini Vision Urbanaut
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Où en étions-nous déjà ?

Ah, oui. La fin de l’automobile.

L’automobile aurait pu être tuée par autre chose qu’elle même. Une proposition alternative aurait pu la remplacer peu à peu, grignotant son territoire et sa part de marché pour l’effacer discrètement, jusqu’à ce qu’on ne la distingue plus dans un paysage traversé par ces objets en mouvement qu’on appelle des solutions de « mobilité ».

Mais les choses ne se passent pas ainsi. Parce que l’automobile ne disparaît pas. C’est pire. Elle se convertit, et se remplace elle-même.

Le jour où vous croiserez une Citroën Ami, empoignez un stéthoscope, et mettez-vous dans la peau d’un médecin : cet engin est un symptôme. Un constructeur propose quelque chose qui n’est pas vraiment une automobile. Mais notre petit doigt nous dit, en la regardant, que la situation est un peu plus compliquée que ça. Pour être plus juste, il faudrait plutôt dire que ce que nous appelons « automobile » ne correspond pas à ce qu’est l’Ami. Du moins, pas encore. Mais on sent que le monde automobile tâtonne un peu dans le noir, tente des choses, parce qu’on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Alors, Citroën joue son rôle de tête chercheuse. Mais on a bien vu que, dans le document vidéo produit par Peugeot pour ses 210 ans, on avait pris soin de placer discrètement, derrière Jean-Philippe Imparato, le concept BB1 qui se tient là, aux aguets, scrutant la façon dont l’Ami est accueillie, aiguisant tranquillement ses griffes et ses crocs de lionceau, au cas où il y aurait une place pour lui dans cet écosystème. Parce qu’il ne faut pas s’y tromper : s’il s’avère qu’il y a un marché pour l’anti-voiture de Citroën, on verra y débarquer d’autres constructeurs, et on considèrera vite que ces engins sont des automobiles, tout simplement. Chez Peugeot, on sait que la 108 n’aura pas de remplaçante. Peut-être un mini-SUV sera-t-il proposé, qui pourrait s’appeler 1008. Restera alors un trou béant dans la gamme, qui pourrait être occupé par un chainon manquant entre la division automobile, et l’activité deux roues du constructeur. Et en proposant coup sur coup une SUB-bagnole qui viendrait occuper le terrain bas de la gamme auto, et une ou deux motos pour chapeauter la gamme cycle, Peugeot pourrait être la marque du groupe qui couvre une majeure partie des modes de déplacement, sans renoncer à une identité fondée sur le plaisir de conduire.

Autre symptôme, toujours chez Citroën, encore en direction des nouvelles mobilités : les chevrons devaient dévoiler ces derniers jours un projet mené conjointement avec des partenaires citadins, JCDecaux et le groupe Accor. Ca s’appelle The Urban Collëctif, et on ne sait pas encore grand chose de ce en quoi ça consistera. Mais quelques visuels nous montrent à ce jour des intérieurs cosy, des banquettes design, des consoles, un univers visuel qui pourrait faire penser à un boudoir sur roues, une alcôve confortable qui formerait comme un salon capable de se déplacer entre l’aéroport et l’hôtel, une navette connectée qui serait aussi capsule de relaxation, loge privée dans un café lounge. Mais voilà : confinement oblige, la présentation est reportée en janvier.

Et vous savez quoi ? Tout se passe ces jours ci, comme si chez Mini-BMW, on s’était passé ce mot : profitons de cet ajournement, et sautons sur le créneau.

Leaving room

Car le concept Mini Vision Urbanaut, c’est un peu ce qu’on pourrait imaginer du projet The Urban Collëctif si celui-ci devait prendre la forme d’une automobile (ce dont rien ne permet d’être tout à fait certain). Seule la taille semble ne pas coïncider avec la compacité que vise Citroën : le concept Urbanaut est relativement volumineux. Ou plutôt, il tente de proposer le plus d’espace possible dans un encombrement au sol relativement mesuré. D’où sa forme monovolume, qui rappelle les prototypes de Renault Espace. Et pour se faire une idée de la taille du concept qui n’a, du coup, de Mini que le nom, il suffit d’avoir ce chiffre en tête : l’Espace MK1 mesurait 4,25 m de long. L’Urbanaut en fait 20 de plus. Et tout, dans cette longueur, est dédié à l’habitacle : pas de compartiment moteur, toute la partie technique de l’engin est noyée dans la masse, indiscernable. A strictement parler, le fait qu’il s’agisse d’un moyen de déplacement passe au second plan, et à la limite, on s’en fout. Le fait qu’on puisse conduire l’Urbanaut est accessoire. D’ailleurs, la plupart du temps, le volant est planqué sous la banquette. Un peu comme le lit gigogne, qu’on dépliait depuis le dessous de votre lit pour y faire dormir vos potes, dans votre chambre d’enfant ; occasionnellement.

L’enfance, l’Urbanaut y renvoie aussi parce qu’il a l’air d’un jouet. Playmobil pourrait le livrer en kit dans une de ses boites, toit vitré d’un côté, habitacle de l’autre, petits accessoires dans un sachet. Et un jour Florence Foresti en ferait le dernier sketch de son one woman show.

Il y a bien quatre roues, mais tout est fait pour qu’elles n’aient pas l’allure de roues. Elles pourraient tout aussi bien être des luminaires. Il y a bien un pare-brise, mais c’est aussi un Velux. Il y a bien un siège conducteur, mais c’est aussi un fauteuil Everstyl. Cette voiture ne devrait pas être vendue chez un concessionnaire, mais par Ikéa. On ne remarque, à son bord aucun signe d’un travail d’ingénierie mécanique. En revanche, tout donne à croire que seule l’équipe déco de Valérie Damido a planché sur le projet, concevant un petit intérieur qui semble s’ingénier à être le plus banal possible, du moins en apparence. Et en fait, à force, c’est presque intéressant, cette quête d’une banalité globale, cette façon de recourir à des techniques très subtiles (les textiles recouvrant des écrans qui se dévoilent quand une information doit s’afficher, les revêtements qui semblent être textiles alors qu’ils sont, en réalité, des écrans recouvrant des panneaux intérieurs entiers) pour aboutir à un résultat qui semble être l’équivalent, dans une surface extrêmement réduite, d’un studio Airb’n’b dont les propriétaires auraient conçu la décoration en regardant un catalogue des ambiances les plus stéréotypées et les plus neutres qu’on peut trouver dans les chaînes hôtelières les plus standardisées, afin de plaire à tout le monde ou plutôt, de ne déplaire à personne.

Dénaturée

Et c’est donc à force de ne pas être, du tout, intéressante, que la Mini Vision Urbanaut devient, finalement, pas si inintéressante que ça. Et il faut avouer qu’elle pousse ce bouchon carrément super loin, au point qu’on peut se demander en quoi il s’agit encore d’une Mini. Parce que, franchement, à part la vague forme des phares er de la calandre, il est difficile d’identifier cet engin comme un descendant théorique d’une Clubman ou d’un Coutryman. Car, précisément, ce qui caractérise une Mini, c’est une certaine tendance à sacrifier énormément d’aspects pratiques pour privilégier, avant tout, le style. Une Mini, une vraie Mini, doit faire un peu le show. Elle doit être bien posée sur ses grosses roues plantées aux quatre coins, ses chromes doivent en foutre plein la vue, concurrencés par les bandes blanches courant sur le capot, les couleurs flashy, les peintures vernies, les toits à motifs, bref, tous ces détails qui font qu’une Mini n’est pas comparable à d’autres modèles de même taille. Ici, dans ce concept, rien.

Bref, cet Urbanaut est l’antithèse de la gamme Mini actuelle, au point qu’on pourrait prendre un gros feutre rouge, et inscrire en grosses lettres sur son pare-brise articulé : HORS-SUJET ! Et en fait, on aurait tort ; carrément.

Démonstration :

C’est quoi, une Mini ? Evidemment, si on pense qu’une Mini, c’est une citadine pas si petite que ça, rouge vif, avec des compteurs circulaires, des phares ronds devant et des feux Union Jack à l’arrière, avec un sticker géant du même motif sur le toit et des options en veux-tu en voilà tout ça proposé à un prix trop élevé pour ce que c’est, bref, si on pense qu’une Mini c’est une petite voiture bourgeoise et un peu frimeuse, si on la conçoit comme une sorte d’équivalent automobile des Spice Girls ou des L5, alors forcément, ce concept monospacisant et très neutre esthétiquement peut sembler être totalement hors de propos.

MINImalisme

Mais, si en pensant à Mini, on a en tête les toutes premières Morris Mini Minor, alors on commence à poser sur cet Urbanaut un tout autre regard, et à mieux deviner ce qui a pu traverser l’esprit de ses créateurs : ce concept est un retour aux sources. C’est une résolution contemporaine de l’équation initiale qu’avait traitée celle qui inaugura ce nom à la fin des années 50 : faire tenir un intérieur spacieux dans un encombrement ultra limité. Et pour y parvenir, faire disparaître, presque par magie, toute la mécanique. Ainsi, sur la Mini initiale, l’habitacle s’octroie 80% de la longueur totale de la voiture. Du coup, la mécanique se fait toute petite, condensée tout à l’avant, empilant l’un sur l’autre le moteur et la boite de vitesses. Sur le concept, l’électricité permet de dégager de nouveau l’espace, et de profiter de chaque centimètre carré pour aménager ce petit salon avec son petit guéridon, son lampadaire, son horloge murale, son sofa, son fauteuil, sa baie vitrée, un petit chez soi qu’on pourrait déplacer n’importe où. Finalement, si dans les années 60 on avait disposé de techniques de conduite autonome, on peut parier que les concepteurs de la Mini auraient aussi poussé son espace intérieur plus loin dans ses retranchements, jonglant avec une disposition moins classique, exactement comme ce concept le fait.

De même, le look un peu m’as-tu-vu des Mini actuelles nous fait un peu oublier que les tout premiers modèles jouaient au contraire sur une sobriété de dessin qui se passait fort bien de fioritures. Volumes hyper simples, lignes dictées par la structure, toutes petites roues en tôle, quasi aucun accessoire, même pas de toit contrasté. Si on a cette simplicité et cette évidence en tête, on peut aborder le concept Vision Urbanaut en comprenant un peu mieux cette étrange sobriété qui ne semble pas du tout en phase avec les produits actuels. Soudain, l’engin n’est plus décevant ou insuffisant, quelque chose des origines de la marque surgit, qu’on avait tellement oublié qu’on est presque surpris d’y être de nouveau confronté.

Virtuelle, c’est à dire : en puissance

Mine de rien, derrière cette présentation qui fait profil bas, se dessine quelque chose qui ressemble à une renaissance et à une prise de distance vis à vis des modèles actuels, dont l’allure fait tout de même la part belle à la frime. Ce concept est dès lors doublement virtuel : il l’est une première fois car il n’existe que sous la forme d’un modèle numérique, et il est volontairement mis en scène dans une définition d’images qui met en évidence cette virtualité. Mais cette immatérialité de l’Urbanaut est peut-être un peu surjouée pour une autre raison : il y a un risque, pour la marque, à mener cette réflexion, parce que son identité actuelle est aux antipodes de cette proposition. Revenir vers davantage de simplicité, ce serait un pari risqué, qui pourrait dérouter une clientèle qui aime bien, jusque là, piocher dans les options de personnalisation et concocter des cocktails esthétiques un peu démonstratifs. Camoufler à ce point la mécanique, ce serait aussi faire passer au second plan les performances, qui sont une part non négligeable des motivations d’achat.

Si l’Urbanaut se présentait comme un prototype sur le point de passer à la production, l’image de marque de Mini serait excessivement bouleversée, et ce sont les modèles actuels qui pourraient passer pour des vestiges du passé.

Reste que, peut-être, les modèles actuels correspondent vraiment à un monde qui s’efface. Il y a toujours un risque lié au fait d’être un objet à la mode : on peut se démoder. Ce qui plait aujourd’hui peut être demain associé à une époque révolue à laquelle la clientèle future n’aura peut-être pas envie d’être associée. L’Urbanaut est un peu la matérialisation automobile des thèses du penseur allemand Hartmut Rosa, qui se demande si on peut suivre, indéfiniment, l’accélération de nos rythmes de vie. Il ne propose pas un simple ralentissement, qui n’aurait en lui-même aucun sens. Il évoque plutôt la possibilité d’un rapport au temps qui serait capable d’une adaptation permanente, une façon de mettre sa vie en phase avec le monde dans lequel cette vie se déploie. Il appelle ça la résonnance, quelque chose qui pourrait être compris comme ce qu’on appelle un accord, en musique : ce moment où on sent que deux notes, ou plus, vont bien ensemble. De toute évidence, nous ne sommes plus en phase avec nos propres rythmes de vie. Plus personne n’a de temps pour rien d’important. Et nos voitures contribuent au phénomènes au sens où elles ont fait de l’accélération leur principe essentiel, au risque d’être tout à fait déphasées par rapport à ce que peut être notre propre vitesse. L’Urbanaut est une forme de prise de conscience de ce déphasage, qui commence à apparaître pour ce qu’il est : un non sens, si on en fait un principe constant et univoque.

Alors, hors-sujet le concept Mini ? Pas si sûr. Il est possible que, dans l’époque qui est la nôtre, les choses étant ce qu’elles sont, ce soit la gamme actuelle de Mini qui deviennent peu à peu hors de propos. Il est possible aussi que, si on trouve le projet un peu niais, un peu dépassé, pas au goût du jour, cela indique moins un décalage entre ce monospace et son époque, qu’un manque de synchronisation entre nous, humains, et le monde dans lequel nous sommes.

La voiture du monde à venir est paradoxale. Et cette Mini nous aide à en prendre conscience. Ces automobiles, tout d’abord, ne nous emmènerons nulle part. On restera, prudemment, à distance, les observant de loin en se moquant un peu, histoire de bien montrer qu’on ne mange pas de ce pain là. Alors, le premier mouvement qu’on connaîtra en leur compagnie, c’est celui qu’elles nous imposerons. Un jour, ou l’autre, nous les regarderons de loin, un peu plus sérieusement, et nous nous dirons que, mine de rien, ce qui se tient en elles, c’est la promesse d’une vie nouvelle. Moins excitante, moins intense peut-être, mais peut-être plus juste, tout simplement. Ces voitures ne feront pas l’effort de venir vers nous. Un jour, quand l’heure sera venu, c’est nous qui nous déplacerons vers elles.



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