Déchirer

In Aston Martin, Constructeurs, DBS Superleggera
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Appréhensions

Ca faisait quelques temps qu’on s’inquiétait pour la relation qu’on entretient avec Aston Martin, parce qu’on était un peu déçu de l’allure que prenaient les modèles récents. Et en même temps, on comprenait un peu pourquoi la marque ne pouvait pas faire grand chose d’autre que nous décevoir : elle avait trouvé quelque chose de tellement classique dans les lignes et la définition des DB9, que ce dessin semblait ultime, comme s’il marquait une sorte de fin de l’histoire pour Aston Martin, qui n’aurait plus qu’à choisir entre mettre fin à ses activités, ou bien régresser. Et, de fait, on se trouvait dans cette situation un peu pénible et inconfortable consistant à ne pas être convaincu par la voie esthétique choisie par Aston Martin pour ses DB11 et Vantage, alors même que ces modèles étaient censés répondre à une demande de renouvellement qu’on exprimait régulièrement envers Aston Martin, en reprochant à la marque de trop capitaliser sur le succès de la DB9, et de ne pas aller suffisamment de l’avant. 

Bilan, on se retrouvait avec une Vantage qui semblait avoir Lamborghini dans la viseur, mais réussissait un exploit paradoxal : en la regardant, on réalisait soudainement qu’en fait, le design des Lamborghini, qu’on pouvait apprécier tout en le considérant comme un peu vulgaire, un peu comme on peut prendre plaisir à voir un Avengers tout en ayant conscience que le véritable cinéma, c’est plutôt Tarkovski, ce design en apparence surtout spectaculaire, donc, faisait en réalité preuve de bon goût, ce qui manquait étonnamment à la Vantage. Ce n’est pas qu’elle soit laide. C’est plutôt qu’elle cultive une impression d’inachèvement, comme si on avait voulu faire passer l’image de sa légèreté et de son efficacité par une apparence « brut de décoffrage » dénuée de finition qui ne convient pas tellement à la marque, et qui n’arrive même pas à convaincre. J’en veux pour preuve une image précise : On a vu depuis quelques temps fleurir des images Lamborghini débarrassées de leur carénage arrière, exposant la mécanique à la vue de tous, donnant à l’engin une allure de véritable machine, de pure mécanique, selon des codes esthétiques hérités, en fait, du monde de la moto. Elles font alors penser aux Ducati Mostro, magnifiques dans leur simplicité et dans la mise à jour de leurs entrailles mécaniques. Mais voila : ce qui va magnifiquement à une Lamborghini, cette espèce d’exhibitionnisme, ne convient pas du tout à Aston Martin. D’abord parce que la marque n’est pas porteuse de ces valeurs, mais aussi parce que la Vantage joue mal cette partition. On ne parvient pas à discerner la nécessité des choix effectués. Pourquoi cette forme d’optiques avant ? Pourquoi sont-elles situées ici, et pas ailleurs ? Et si on comparait la Vantage à la Jaguar type S, ce à quoi nous invite un peu sa chute de reins, sont arrière court, comme tronqué, l’Aston Martin y perd aussi, parce qu’elle n’a pas la folle allure de sa concurrente, précisément parce qu’elle semble ne pas soigner les détails. 

Le pire, c’est que ce résultat peu convaincant est obtenu alors même que la base de la voiture n’est pas mauvaise. Les volumes sont intéressants, les proportions pourraient être attirantes aussi, mais tout est gâché par des choix curieux, comme l’inachèvement de la grille de calandre. Et nous disons même rien de l’intérieur, qui relève, tout simplement, de l’horreur. 

La DB11 s’en sort certes mieux. On y trouve un peu mieux ses marques, on y discerne davantage de cohérence, les formes ont une meilleure justification, et surtout il y a une façon plus achevée de dessiner et faire les choses. Mais voila, à ce niveau de gamme, tout tient à un rien, et il y a quelque chose qui cloche vraiment avec ce pavillon posé sur une espèce de joint qui gâche tout. Sans doute est-ce subjectif, peut-être certains aiment-ils ce détail, mais en réalité, ça ne va pas. Ce n’est pas seulement qu’on s’était habitué à la simplicité de la DB9. C’est que sur celle-ci, le pavillon et l’aile arrière s’articulaient vraiment. Leur jointure donnait lieu à un dialogue de formes qui enfantait d’une forme générale, et c’était beau. Ici, cette jointure mastoc empêche un tel dialogue, comme si la voiture devait joindre deux morceaux dessinés séparément, associés l’un à l’autre par un grossier trait de colle. Ça ne va pas. Quelle que soit la perspective qu’on prend sur cet élément du design de la 11, ça ne passe pas. Et ce n’est pas la face arrière qui va sauver l’ensemble, car elle ne parvient pas à convaincre, n’atteignant ni la bestialité lamborghinienne, ni la simplicité féline de chez Jaguar, ni la pure efficacité technique de Ferrari. L’arrière de la DB11  semble être là pour l’unique raison qu’il en fallait bien un. Et autant sur une Dacia, pourquoi pas, autant cette absence d’identité et de justification, sur une Aston Martin, ça pose un peu plus question. Et ce n’est pas qu’une question de prix. En fait, c’est avant tout une affaire d’histoire, et de dignité; et cet arrière en manque.  Intérieurement, on revenait à quelque chose d’un peu plus classique, qui correspondait mieux à l’idée qu’on se fait de ce qu’était, avant, une Aston, avec cependant des détails qui déconcertent un peu, comme ces aérateurs latéraux biscornus ou, surtout, ce combiné d’instruments qui ne veut rien dire et qui, surtout, n’est tout simplement pas beau; du tout. 

Celle qui déchire tout

La DBS Superlegera vient remettre les pendules à l’heure, et on le voit presque au premier regard; le temps, en fait, d’oublier ces deux esquisses qu’auront été la Vantage et la DB11. Et ça peut prendre un moment. Mais force est de constater que sans renier le tournant pris sur ces deux modèles, Aston revient ici à des formes efficaces, qui semblent avoir quelque chose à dire et, surtout, le disent de belle manière. 

Il y a, en fait, un moment où le regard acquiesce totalement à l’auto, et j’en ai pris conscience en regardant la présentation qu’en fait la chaine anglaise Shmee. Le présentateur est un poil insupportable, mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui change tout, c’est qu’on nous la montre en peinture mate. Et ça permet de beaucoup mieux en saisir les volumes. Ce qui saute aux yeux, c’est le jeu des volumes tel qu’il se définit juste en avant du train arrière. Le resserrement des flancs vers le bas, le cintrage de tout le volume de l’habitacle en avant des roues arrière permet de faire ressortir celles-ci et de signifier visuellement la puissance qu’elles doivent transmettre dans le goudron. Tout semble dessiné à partir de cette forme qui est, elle, moins dessinée qu’elle n’est sculptée. Du coup, ce qui semblait n’être qu’imparfaitement esquissé sur les deux plus petits modèles paraît ici trouver enfin sa juste place et ses justes proportions. L’absence des reflets dont abusent, en revanche, les photos officielles et la vidéo proposée rend beaucoup mieux justice au travail de design effectué sur ce nouveau modèle. Un détail vient, littéralement, souligner ce joli travail, c’est le profilé de bas de caisse, qui forme une ligne accrochant la lumière, bien à plat, mais elle met aussi en relief le modelé de l’aile arrière dans laquelle elle vient mourir. Et on réalise à quel point c’est, tout simplement ce qui fait que la DB11 présente un flanc un peu plat, et ce qui fait une partie de la puissance visuelle de la DBS. 

Encore un mot sur ce bas de caisse, parce qu’il permet, aussi, de donner forme à ce détails qu’on retrouve aussi sur la DB11 : l’aile avant qui, en arrière de la roue, n’est pas jointe au bas de caisse. Ici aussi, le fait que la forme soit sculptée vient donner du sens à cette particularité, et le bas de caisse vient souligner le galbe de l’aile en servant de repère visuel. On n’a donc plus l’impression de quelque chose qui n’est pas correctement joint, mais d’une forme savamment construite, un peu à la manière d’une architecture de Frank Gehry. Rien que pour cette partie du dessin de la DBS, on a envie de saluer le travail effectué. 

Plus fort encore, le fameux joint à la base du pavillon est toujours présent, mais les formes de la DBS permettent de l’absorber et d’en relativiser la présence visuelle. Surtout, le volume des ailes constitue un support parfait pour celui du pavillon. Tout ça s’harmonise avec puissance et élégance. On est bien dans les valeurs essentielles de la marque. 

L’intérieur, en reprenant les fondamentaux de la DB11, évite la grosse faute de goût de la Vantage. La principale distinction de la DBS, c’est le combiné d’instruments qui est agrémenté d’une visière davantage travaillée, qui a l’avantage de mieux s’associer avec les trois éléments d’affichage. Reste que sa forme manque de distinction et de simplicité, et s’accorde mal avec l’idée qu’on peut se faire d’un intérieur Aston-Martin. Le reste est dans l’air du temps, c’est à dire que l’habitacle est très démonstratif dans la débauche de finitions. On peut trouver que tout ça manque un peu de simplicité et on aimerait voir le design aller plus directement vers l’essentiel. Mais sans doute la marque doit-elle aller vers ceux qui constituent le gros de sa clientèle, et on devine que c’est ce qui plaît.

Se chercher

Mais, justement. Puisque nous disposons maintenant d’une vidéo de présentation, on peut confronter le discours tenu, et la réalité. De l’aveu même de ses concepteurs, le clip de promotion a pour but d’ériger la DBS en véritable oeuvre d’art. Ils affirment avoir pour ainsi dire dématérialisé l’auto numériquement pour en extrapoler une forme abstraite qui en serait la substance. Fort bien, pourquoi pas. Mais si c’est une oeuvre d’art, alors elle devrait n’avoir que faire du marché, des goûts des clients, des exigences commerciales. C’est là ce qui caractérise l’oeuvre : elle propose, et les spectateurs disposent. Mais ils ne décident certainement pas. Ca fasait un moment qu’on avait le sentiment qu’Aston Martin ne sait plus quoi proposer, et se laissait un peu guider par le marché, se positionnant par rapport à d’autres marques qui lui servaient de repère, alors que ce qui caractérise une marque d’exception, c’est justement qu’elle n’a aucun autre repère qu’elle même, que ce sont les autres qui se positionnent par rapport à elle. Le sentiment que ça diffusait, c’était un manque d’autorité de la part de la marque, qui semblait errer, à l’écoute des réactions de la clientèle. Pour le design extérieur, la marque montre avec la DBS qu’il ne faut pas désespérer : on trouve encore en elle à qui parler. Tout n’est pas résolu (l’arrière est encore perfectible), mais on progresse nettement (l’avant trouve enfin son expression simple dans une calandre qui prend tout sa place, c’est à dire toute la place, à tel point qu’on se demande un peu où va se trouver la plaque d’immatriculation). Reste maintenant à atteindre le même degré d’autorité à l’intérieur. 

Un dernier mot à propos de la vidéo, puisqu’on aime bien être attentif à ce genre de détail. L’idée de l’expansion de la DBS dans un univers numérique et abstrait a ceci d’intéressant que l’auto se démarque nettement de ses concurrentes, qui aiment signifier leur aptitude à évoluer sur les routes ensablées des pays producteurs de pétrole. Mais ce faisant, ce que dit aussi la marque, involontairement, c’est que la place d’une telle voiture n’est pas définie. Dans le monde tel qu’il est, elle n’a en quelque sorte plus sa place, si ce n’est l’errance numérique. C’est d’autant plus paradoxal que les Aston Martin ne sont pas les voitures les plus informatisées du monde. Elles ont encore un lien étroit avec la main de l’homme qui les façonne et les peaufine. Ce positionnement très abstrait semble correspondre davantage à une stratégie de positionnement qu’à une définition intime de l’automobile proposée. Mais ce jeu entre la réalité et la représentation montre qu’au-delà de l’apparente réussite esthétique de cette DBS superleggera, des questions demeurent quant à l’identité véritable d’Aston Martin, et ce d’autant plus que, finalement, ce que montre ce bolide, c’est que cette identité est le mieux portée par le modèle le plus confidentiel. Ses deux petites soeurs n’en ont pas fini avec les heures passées chez le psy…

Il est l’heure de s’en mettre plein les mirettes : 

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