A total rebours de l’histoire, Cadillac sort simultanément deux modèles qui sont les déclinaisons furieuses des deux berlines constituant le coeur de gamme de la firme de Detroit. Parce qu’il ne faut pas laisser M le Maudit occuper le territoire en endiablant des BMW auxquelles Cadillac n’avait jusque là aucune concurrence à proposer, les CT4-V et CT5-V reçoivent un nouveau label, aux sombres desseins : Blackwing.

Et c’est plutôt marrant, parce qu’à regarder ces deux berlines bodybuildées évoluer, silhouettes sombres dévorant l’asphalte sabres lumineux en avant, on est tenté de se dire qu’il y a là une évolution possible pour la signature avant des Peugeot dans une déclinaison plus menaçante et brutale et, soudain, on se rend compte qu’en réalité, au-delà de ces canines, on n’est clairement pas, du tout, dans le même monde. En France, Peugeot construit sa 508 PSE autour d’une allure un peu démonstrative, et d’une combinaison mécanique permettant de ménager la chèvre et le choux, avec une petit moteur quatre cylindre, associé pour le booster à des batteries et des moteurs électriques. Ce faisant, le lion propose des performances élevées, mais ponctuelles, tout en restant dans les clous de ce qui est considéré comme écologiquement raisonnable – pour peu qu’il soit écologiquement raisonnable de concevoir des véhicules d’une telle puissance, mais bref -. Et objectivement, après tout, on n’a pas besoin en permanence de la puissance maximale d’une telle voiture. Mais voilà : la puissance, c’est précisément la force dont on dispose avant de l’avoir mise en œuvre. C’est une virtualité qu’on a sous le pied, qu’on peut actualiser dès qu’on le veut, déclenchant le déversement vers les roues de ces forces qui arracheront les deux tonnes en mouvement aux lois de la physique. La puissance, c’est ce qu’on a en réserve, et ce que la mécanique doit être capable de délivrer, sans épuisement. Et la 508, qui ne dispose pour être exceptionnelle que de la quantité de watts que sa batterie contient encore, ne correspond pas exactement à ce qu’on appelle « puissance », puisque par moment elle est un peu impuissante.
Mais justement, peut-être faut-il collectivement se faire à cette perspective de l’impuissance ponctuelle. Peut-être Peugeot a-t-il raison dans cette période transitoire durant laquelle on vit encore dans le culte de la performance. Mais ça, aux USA, on s’en fout carrément. Normal. On appelle ça le Nouveau Monde. Ca doit signifier que les ressources y sont encore inexploitées…
Non ?
Le malus écologique français ? Il n’est même pas certain qu’on ait informé un quelconque américain de l’existence d’une telle disposition. Oh, en réalité, il y a des Etats, là-bas, qui incitent à acheter des véhicules plus raisonnables que ces deux là. Mais la clientèle visée par Cadillac ne s’y trouve pas. Et probablement ne s’y installerait-elle pas rien que pour cette raison. Eh oui, parfois, ça va jusque là. Cette clientèle vit sur une autre planète. Du moins fait-elle mine de le croire. En réalité, elle sait fort bien qu’elle consomme les ressources des autres. Mais comme elle s’occupe suffisamment l’esprit pour ne pas avoir le temps d’y penser, et qu’elle se persuade à grands coups de prédestination divine qu’elle mérite plus que les autres de tels plaisirs, du coup, inutile de s’encombrer de précautions qui ne vaudront d’autant plus que pour les autres que, de ce côté là de l’Atlantique on aura persisté, aussi indéfectiblement qu’un convoi lancé les rails derrière sa locomotive à vapeur, à faire comme si on pouvait, éternellement tirer du sol terrestre cette huile que les profondeurs concoctent depuis des millions d’années afin d’être injectée, sous forme de brouillard raffiné, dans les 6 cylindres en V de la CT4-V, et dans les huit grosses gamelles de la CT5-V. Tout ça pour défier les lois de conservation du mouvement , et on sait que l’absence de mouvement est, en fait, un cas particulier du mouvement, et que le repos a tendance à se conserver tellement facilement qu’il faut des forces considérables pour s’en arracher. Mais ça tombe bien. Les Blackwing, des forces, elles en sont gorgées. Et la puissance dans ces moteurs ne joue pas les intermittentes du spectacle : sous le pied droit, des réserves. Eternellement renouvelables tant qu’on trouvera une goutte de sans plomb à verser dans le réservoir. La planète est la seule limite de ces engins là.
Et c’est ce qui finira par causer leur perte. Mais nous-mêmes auront disparu par la même occasion. On est comme ça, nous autres humains.
Parce que là, on parle de gros, gros moteurs. Et si on mettait celui de la 508 à côté, il faudrait faire venir une équipe de psychologues pour soigner un début de complexe du vestiaire.. Car si encore, le 3,6 du petit modèle peut paraître encore raisonnable, on prend soudain conscience de son aptitude aux mauvaises manières en découvrant que, dopé par deux turbocompresseurs, il développe 472 chevaux. Mais sur le gros modèle, on bascule dans un tout autre monde, puisque le V8 affiche 6,2 litres de cylindrée, et 668 chevaux, soit deux de plus que la puissance du diable en personne. Voilà comment ailleurs dans le monde on ne fait pas, du tout, dans le détail. La démarche, finalement, est toujours la même aux Etat-Unis : on a besoin que la diligence aille plus vite ? On ajoute deux paires de chevaux à l’attelage, et c’est parti. Et quand on veut laisser l’empreinte de ses pneus arrière sur le goudron, on ne regarde pas à la dépense, et on sort les gros moyens.

Ici, l’opération convient esthétiquement parfaitement aux deux berlines. Tout en partageant un style commun, elles n’ont pour autant rien de semblable. Simplement, elles sont taillées tout en force sur l’avant, leur gueule semblant avoir l’intention de racler le goudron pour mieux s’en alimenter. Sans être fondamentalement transformées, elles gagnent en muscle, elles semblent plus solides, plus fermes, plus rassemblées autour de leur puissance. A vrai dire, elles paraissent simplement plus accomplies, comme si c’était leur forme finale qui nous était enfin révélée, ce vers quoi elles tendaient. Note presque exotique, l’arrière se voit barré par un déflecteur aérodynamique de dimensions inhabituelles pour des modèles de cette catégorie. Et à vrai dire, une fois l’effet de surprise passé, on se dit que c’est une bonne idée : par son côté spectaculaire, il peut sembler presque déplacé sur ces berlines, mais c’est justement pour cette raison qu’on a le sentiment qu’il se trouve là pour des raisons avant tout techniques, et c’est ce qui contribue finalement à sa beauté formelle. Sa supposée nécessité est un témoignage visuel des forces telluriques qu’il doit contribuer à contrôler.
Comment cette puissance est-elle transmise vers la chaussée ? C’est là que les choses deviennent un peu excitantes : par les seules roues arrière. Et si on veut, via une boite manuelle. Avec une bon vieux levier de vitesses, et une bonne vieille pédale d’embrayage. A l’ancienne. Chez Cadillac, on se dit qu’il y a dans le conducteur toute la technologie nécessaire pour contrôler le chaos digne du Big Bang qui se trouve devant, sous le capot, juste derrière cette face avant dont le haut semble avoir été sculpté par le vent lui-même, comme si un mur avait été courbé à force d’avoir été soumis aux assauts d’une tempête. Et tout le truc de ce dessin, c’est justement d’offrir une telle masse à l’avant, qu’on se dit qu’il va falloir un déferlement de violence mécanique pour se libérer des contraintes aérodynamiques d’une telle absence apparente de profilage. Et sur ce point, quand il s’agit des Blackwing, on ne se trompe pas. Ces deux modèles affrontent la question des frottements avec les masses d’air de la façon la plus brutale qu’on puisse imaginer. Et on sait, sans jamais être monté à bord, et parce qu’on a déjà conduit des propulsions à boite manuelle, qu’on y sent littéralement les forces mécaniques partir de la sortie de boite de vitesse, s’écouler dans l’arbre de transmission passant entre le conducteur et le passager, et filer vers le train arrière, avant de vider leur sac directement sur l’asphalte. Tout, dans ces engins respire l’excès, tout est fait pour qu’on s’en prenne plein la gueule, et qu’on finisse le trajet en demandant grâce à ce monstre qui nous aura, c’est le mot, transportés.
Détail édifiant quant à ce que les ingénieurs Cadillac ont en tête : en réalité, ces deux modèles, avec des motorisations plus paisibles, sont proposées en transmission intégrale. Mais ici, on s’en est passé. Autant dire que le but avoué de ces engins n’est pas exactement la trajectoire optimisée et les courbes tracées au cordeau. Il y a quelque chose ici qui relève de la préméditation de déboitement du train arrière. Telle une progéniture sévèrement frappée d’hyper-activité, ces Cadillac arrivent dans la cour de récré; et c’est un peu comme si Harley Quinn débarquait, couettes de travers, accompagnée d’une Wonder-Woman qui aurait oublié les bonnes manières et aurait viré maléfique. On jette un coup d’oeil à leur cartable badgé Hello Kitty, à leurs chaussettes hautes ajustées. Et soudain, on réalise qu’elles ont débarqué à l’école avec des battes de baseball. Au beau milieu de la cour, on regarde la petite 508 PSE, qui crâne un peu avec ses tennis reine des neiges toute neuves. On calcule, comme on peut, la trajectoire des deux cinglées. Et on réalise, mais un peu tard, qu’on ne peut déjà plus rien pour éviter le massacre. La directrice de l’école donne un coup de coude à l’institutrice en charge de ces deux-là : « Vous avez entendu ? Elles chantent du Balavoine. » Et ouais, c’est vrai qu’on croit reconnaître, filtrant entre leurs dents serrées une interprétation de Quand on arrive en ville dans une version taillée pour un film de Tarantino.
L’Amérique quoi. Dans toute sa splendeur.
A vrai dire, on déconseille à Peugeot de foutre les pieds sur ce territoire.
Autant dire, alors, qu’on passerait volontiers un bon bout de temps à contempler ces machines occupées à détruire consciencieusement le goudron que les DDE américaines ont patiemment coulé sur les routes. Le problème, c’est qu’elles vont sacrément vite. Heureusement, la caméra est là pour saisir ce qui échapperait à une vitesse normale de rotation des cervicales. Et le montage sait en restituer la violence.

Rendons Grace, donc, à Kurt Schneider, le réalisateur du spot de pré-dévoilement de ces deux furies, car il a su capter cette force sombre, et l’injecter dans l’image sans la dévoiler complètement. D’abord parce que c’est de la pure puissance, et que ça ne peut être entièrement actualisé, ça doit rester en réserve, là, possible mais pas avéré, disponible mais pas encore sollicité, virtuel, tapi dans l’ombre du bloc moteur. Mais aussi parce que c’est un film qui précède la révélation, et que pour ce genre d’engin, que nous ne verrons pas, que nous ne posséderons pas, que nous ne conduirons jamais ne nous mentons pas et ne faisons pas « comme si », c’est finalement la pénombre qui convient le mieux : car ces deux berlines démesurées demeureront pour nous comme les monstres des contes, comme les créatures mythiques. On en aura connaissance, sans les avoir jamais rencontrées. Elles nourriront d’autant plus nos fantasmes qu’on n’en connaîtra jamais les défauts. Elles seront une exception qui ne deviendra jamais une habitude quotidienne, traversant nos rêveries à très, très vive allure sans jamais faire partie du paysage.
Cadillac, en bonne vieille marque américaine, écrit son histoire sous forme de rêve éveillé. En faisant quelque chose de réel puisque les voitures existent, elles marchent, on peut les acheter, elle contribue à nourrir ce qui, aux USA, se confond avec l’histoire : son propre mythe. Et nous, humbles serviteurs d’une religion à laquelle on ne croit qu’à moitié, nous faisons ce geste que seuls les adorateurs d’automobiles partagent : nous ne nous inclinons pas devant les dieux, nous tournons la tête, jamais assez vite, devant leur fugitif passage.
Mon petit doigt me dit que JC a jeté un œil aux pubs du Superbowl et noté l’apparition de Will Ferrel…
https://lareclame.fr/super-bowl-top-2021-244931/
😀
Exactement !
Mais… C’est Bruce Springsteen qui a le plus capté mon attention et mon intérêt finalement 🙂
Et je suis sur une pub Peugeot, aussi, que je trouve digne de… critique !
Mais Ferrel est tellement désopilant que je vais devoir lui consacrer un peu de temps en effet ! 🙂