On peut parler sérieusement ?
Comme sur tout blog auto, on est évidemment très complaisant envers cet objet auquel, qu’on le veuille ou non, on est très attaché. Mais, parallèlement, nous savons bien, aussi, que cet objet pose problème, qu’on ne peut pas l’universaliser, au sens où il est hors de question que l’humanité toute entière se mette à se déplacer en voiture, et que c’est un loisir que nous nous autorisons dans la claire mesure où nous faisons en sorte que les autres n’y accèdent pas. Bref, on a beau aimer la voiture, et ce sous bien des formes, il faut bien avouer que le principe même du déplacement automobile pour chacun est en fait totalement déraisonnable.
Le problème, c’est qu’on a beau prendre des distances avec l’usage quotidien de l’automobile, il nous suffit d’un spot publicitaire nous montrant une bagnole roulant, même paisiblement, dans la lumière orangée d’un soleil rasant pour qu’on replonge immédiatement. Et des images en mouvement de ce genre, on n’en manque pas, que ce soit dans la pub, dans les clips ou dans les films; autant dire qu’on n’est pas près de décrocher. D’ailleurs, là n’est pas le but. Et si ici on fait la promotion d’une forme de rêverie à propos de l’automobile, en faisant le choix des mots plutôt que celui du volant en main et du pied sur la pédale de droite, c’est parce qu’on parie sur la possibilité, non pas d’éradiquer ce goût pour cet objet fantastique, mais de le déplacer dans une autre sphère, où il pose moins problème. Mais les mots sont, dans ce domaine, tellement moins puissants que les images, parce que les images en mouvement sont intimement liées au mouvement automobile, et qu’on ne peut pas briser ce couple par des raisonnements. Il est trop soudé. Et cette association est belle. Et on n’a pas pour intention de se priver de la beauté.
Alors il y a une solution : mettre les mêmes images au service de quelque chose de moins problématique. Et c’est dans ce projet que s’est lancé, il y a trois ans déjà, le réalisateur Oskar Wrango pour le compte de la boite de production Camp David Film. Et l’idée, c’était tout simplement de mettre l’aptitude à réaliser de belles images de mouvement au service, non plus de la voiture, mais du transport en commun. Tout ça se passe en Suède, où les transports en commun avaient décidé de faire un grand coup de promotion en offrant quinze jours de trajets gratuits à tout le monde, histoire qu’au moins, les gens essaient. Et tout le pari, c’était que certains se convertissent.
Alors, évidemment, une telle campagne ne fonctionne que si ceux qui essaient sont conquis par la tentative. Spontanément, on se dit qu’il ne faudrait surtout pas faire cette expérience en France. Mais on aime bien, aussi, se faire du mal. Je prends quotidiennement le francilien, et vraiment, depuis que les « petits gris » ont été remplacés par ces trains modernes, aux éclairages intérieurs tout droit issus d’un restaurant chinois (vous voyez les leds qui changent tout le temps de couleur ? Et bien voila…), il faut admettre que les trajets sont devenus mieux que supportables : ils sont confortables et plaisants. Ils sont aussi nettement plus fiables.
Qu’en est-il en Suède ? D’après le spot réalisé par Oskar Wrango, les transports en public sont idylliques. Bien sûr, c’est de la publicité, et tout est magnifié. Mais les publicités pour les voitures usent du même stratagème. Donc, bienvenue dans un monde d’images filmées depuis le ciel, façon Godfrey Reggio, dans un monde où le soleil est tout le temps en position « petit matin », ou « tombée de la nuit », où les voitures, observées dans la circulation, forment des tableaux abstraits mouvant, de petites cases rouges et blanches en translation, où les bretelles d’autoroute dessinent des tantras; un monde où, surtout, on est si beau quand on prend les transports publics, on est magnifique dans un escalator, rayonnant assis dans un tramway à regarder par la fenêtre cette lumière perpétuellement rasante. Bien sûr, tout est plus beau que nature. Mais si c’est en grande partie par les images des voitures que nous nous sommes à ce point attaché à la bagnole, alors on a raison de commencer à magnifier par l’image en mouvement cette autre façon de se déplacer.
Parce qu’on en est conscient n’est ce pas : si on ne le fait pas par plaisir, un de ces quatre, il faudra le faire par contrainte. Rappelons que dans le monde dans lequel nous sommes, qui a soif de croissance économique, ne serait-ce que pour se maintenir à niveau, il en va de même de la consommation : certes, nous consommons par plaisir, mais en réalité, nous devons consommer, qu’on le veuille ou non. Parce que si on produit en série, alors nous devons consommer en série aussi. Et vu le niveau de publicité auquel nous sommes exposés (et une publicité n’est rien d’autre que de la propagande pour une société qui ne s’envisage que comme marchande), la consommation n’a rien, chez nous, d’un mouvement naturel : nous devons y être incités. Et c’est le plaisir, la clé. Alors, si on veut passer à ce à quoi de toute façon nous passerons un jour, mieux vaut que ce soit, aussi, par plaisir.
On ne peut, dès lors, que saluer ce film suédois, se le passer en boucle, se laisser envahir par le plaisir, et demain, se faire faire son passe Navigo. Car en Suède, ce spot a trois ans. En France, il appartient à un futur dont on ne peut plus trop se permettre qu’il soit sans cesse repoussé au lendemain.