Mechsploitation

In Art, De Tomaso, Design, Movies, Pantera
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A propos de :

Phantasm
très court métrage de Victor Vanger
mettant en scène :
une De Tomaso Pantera
et l’Extravagant Traveler de Frédéric Platéus

Les comparaisons sont toujours un peu hasardeuses, mais si on voulait marquer un peu durablement les esprits et y fixer solidement quelques images mentales au mur, on pourrait considérer que De Tomaso tint à peu près dans l’univers automobile la place que Russ Meyer occupa dans le monde de la production érotique : un mélange de culture et de provocation, d’images racées et de purs déversements hormonaux, une slackline tendue entre la vulgarité brute et la quête esthétique. Et si un modèle devait incarner pleinement cette ligne éditoriale, ce serait évidemment la Pantera, Dessinée par Tom Tjaarda, designer qui dans les années 70-80, connut une intense période de créativité et d’intuition, tout particulièrement au sein du bureau de style Ghia, au sein duquel il dessina celle qui avait la lourde tâche de succéder à l’impressionnante Mangusta sculptée, elle, par un des monstres sacrés du design automobile, Giorgietto Giugiaro. Donner une suite à ce dessin puissant pouvait ressembler à une mission impossible : ce savant déséquilibre, cette longue pente de pavillon recouvrant en deux moitiés articulées longitudinalement le moteur V8 Ford qui animait la bête, insolemment construite à Modène, à deux pas des usines Ferrari, comme si Lamborghini ne suffisait pas à venir provoquer le cheval cabré sur ses propres terres.

Un moteur américain dans une silhouette européenne ? Ce n’est pas tout à fait un hasard. On sait la rancœur qu’entretenait Ford envers Ferrari, qui fut la source de la création de la GT40. Aider De Tomaso en l’approvisionnant en V8, c’était une façon pour l’Américain de venir mettre la pression non seulement sur la piste, mais aussi sur le terrain de la production civile, afin de rendre coup pour coup à cet orgueilleux petit italien qui avait osé prendre de haut le géant transatlantique. Et si on sait, historiquement, lequel des deux a gagné sur le marché de la berlinette de très hautes performances, on n’a peut-être pas suffisamment remarqué à quel point un modèle tel que la P80/C intègre à son dessin bestial l’attitude particulière de la Pantera, la façon dont sa pointe avant prend la peine de simuler un regard absent, mais surtout la posture cambrée, qui met en valeur toute la partie mécanique de ces engins carburant à la pure pulsion, chacune semblant avoir, pour le dire en ces termes, les reins cassés par la puissance qui, littéralement, la pénètre depuis le train arrière.

La Pantera, parce qu’elle est le point culminant d’une marque qui, entre les années 80 et 2004, ne cessa de tirer une très, très longue révérence qui connait aujourd’hui, avec le projet P72, ce dont on ne sait encore s’il s’agit d’un dernier hoquet, fait partie de ces voitures d’autant plus mythiques qu’elle a ce petit quelque chose d’accessible que n’ont pas le modèles élitistes produits chez Ferrari. On sent, en la regardant, qu’elle recouvre des dessous brutaux, mais pas hyper raffinés technologiquement, qu’elle est une démonstration de force plutôt qu’un exercice d’équilibrisme technologique. Tout en étant exclusive, elle conserve un cœur populaire, comme tous ces modèles bâtis autour de 8 cylindres de grosses dimensions, positionnés en V, et siglés Ford. La Pantera est avant tout l’image d’elle-même, le cul entre ces deux chaises que sont le Vieux continent et le Nouveau monde, une attitude provocatrice, la dialectique entre sa ligne originelle et sa bestialité grandissante à mesure qu’on lui offrit plus de puissance, dopant sa carrosserie aux stéroïdes, sous forme d’extensions d’ailes, d’écopes de refroidissement, et d’ailerons. Il y a dans le devenir bodybuildé de la Pantera quelque chose qui rappelle ce qui arriva, parallèlement à la Countach du voisin Lamborghini. Ainsi, un éleveur américain et un agriculteur italien embarquaient Ferrari dans un sale plan à trois.

Dans l’échelle du mythe, la Pantera pourrait voler à la même altitude que la DeLorean, si elle avait bénéficié, comme celle-ci, d’apparitions cinématographiques et clipesques plus nombreuses. Il manque à la l’italo-américaine un Back to the future pour figurer au nombre des références mainstream qu’on citera pour montrer qu’on est fort en culture très générale. Du coup, on la croise moins souvent au détour d’un clip, d’une série animée ou d’un film cultivant la nostalgie des eighties. Pourtant, regarder une Pantera accélérer demeure un beau spectacle. Visuellement, ses masses déséquilibrées sur son train arrière se tassent encore davantage sur celui-ci, élevant un peu le nez, comme si elle allait décoller pour un aller simple vers le septième ciel. On la sent légère sur ses appuis avant, le cul plaqué au sol, cambrée pour recevoir cette secousse qui va la propulser. Légère, elle accepte d’être soulevée. Robuste, elle est capable d’encaisser. Pas la peine de prendre des gants avec elle, on peut se permettre de ne pas être hyper précautionneux. Proue squalesque, poupe juste assez échancrée pour laisser dépasser l’échappement, comme un orgue expose sa tuyauterie mystique. La pesanteur et la grâce en une seule et même incarnation métallique. A l’oreille, ce n’est pas du son qu’elle produit, mais un tonitruant vacarme, comme si une armée de tambours se déplaçait à ses côtés pour prévenir le territoire qu’elle investit que la guerre est déclarée, et que tout résistance est inutile. C’est peut-être pour cette raison qu’on la voit peu à l’écran : autant son image immobile, dans les versions les plus simples, montre une voiture fine, qu’un agent secret dopé à l’ironie pourrait confier au voiturier à l’entrée d’un casino, autant la voir déposer carboniser l’asphalte en deux traces parallèles fait immédiatement penser aux hélicos et au napalm de Coppola. En quelque sorte, la Pantera est présente, à l’écran, dans une multitude d’images où elle n’apparaît pourtant pas.

Ainsi, malgré son évidente cinégénie, la Pantera apparaîtra peu au cinéma. Son petit instant de gloire, elle le trouvera dans Fast & Furious 5. A part ça, pas grand chose.

Il fallait de véritables plasticiens pour que cette absence soit remarquée, et que cette injustice réparée. A la réalisation, Victor Vance, qu’on avait déjà vu, il y a quelques années, fureter caméra en main autour d’une Camaro convertible. A la conception formelle de l’Extravagant Traveler, la roquette lancée face à la Pantera bariolée comme si elle allait s’aligner au départ du course de Nascar, Frédéric Platéus, plasticien fasciné par les motifs générés en croisant du matériel sportif et des lettrages techniques, passé maître dans la sculpture de volumes qui semblent directement extrudés dans les matériaux les plus techniques, exposant à la vue de tous ce temps qui est le nôtre, réduit à ses formes essentielles, décrivant le monde tel que l’homme l’a fait, dans un mélange d’élitisme technique et de popularité formelle. A la photographie, un fidèle compagnon de Victor Vance, Sylvain Freyens, dont on devine vite, à travers leurs collaborations successives, ce qu’il apporte à l’image de ces très courts métrages. Au design sonore, Lorris Gisana, et côté musique, le Waiting for a sign de Scratch Massive ici associé à Koudlam. A la faveur de cette réunion, en 2020, on pouvait enfin admirer la Pantera vider son sac sur la route, pied droit au plancher, pour une accélération d’une minute sous un ciel en ébullition. Une minute tout juste de montée du désir. Une route, deux engins. A ma gauche, le missile signé Tom Tjaarda. A ma droite, la roquette désignée par Frédéric Platéus. A gauche, la furtivité de la panthère, noire, en stealth mode filant tout droit sur la route déserte. A droite, les couleurs de la guérilla sportive telles que les maîtrise à la totale perfection le plasticien bruxellois. A gauche, le croisement entre l’Italie et les USA. A droite, le fils caché des Etats Unis et de la Belgique.

Au volant, une femme libère son fauve intérieur. Une accélération en forme de prélude au crash-test, quelque part entre Ballard et Tarantino invitant le vocabulaire du branding de Bret Easton Ellis pour qu’il mette des mots sur leurs propres pulsions scopiques. Une minute de tension vers l’encastrement. Tête chercheuse en quête de réceptacle. A l’image, rien d’autre que de la pure tension. L’amour physique est sans issue. La bagnole asymptotique tend vers le drone, à l’infini, lui, segment de droite en translation, poursuit sa course aveugle comme l’amour, raide comme la justice, indéfiniment. Tout ça ne peut finir que dans une abolition commune, quelque part dans la noirceur de nos imaginaires. Au cœur de nos fantasmes.

Pure destruction ? Pas tout à fait. Car aussi court soit-il, ce métrage intègre sa conclusion : un dernier va, et un ultime « viens », face à face subjectif cette fois-ci, fusion entre la Féline et la turgescence propulsée, dont les couleurs sont noyées, désormais, dans le noir. Surface glacée darth-vaderesque qu’on ne devine plus que par le reflet des lumières autour d’elle. Une torpille rode, noire comme la bête mécanique, fuselée comme une tête qui chercherait une proie à perforer, pour y répandre sa semence.

Dans la vitesse, il y a le rêve de la collision, des matières qui s’emmêlent, des formes qui s’interpénètrent. Les masses ont beau foncer face à face, c’est un seul et même mouvement qui les anime. Dans le noir du goudron, dans l’explosion de pétrole qui alimente la poussée, se tient, tapi comme un fauve, l’obscur objet du désir qui n’attend qu’un chose. Qu’on libère cette bête qui sait qu’en fait, mieux vaut lâcher la proie, et se tourner pour de bon vers l’ombre.

Victor Vanger : https://vimeo.com/victorvanger

Frédéric Platéus : http://www.fredericplateus.com/

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