Limo

In 607, Concepts, Constructeurs, DS5, DS7, Evénements, Paladine, Peugeot
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Que retiendra t-on de l’accession de Hollande au pouvoir ? Qu’il monta dans une Citroen DS5 spécialement décapitée, encapotée et capitonnée pour l’occasion. Que l’engin était hybride et que c’était censé proposer une alternative aux véhicules hybriques, démesurés, d’outre-rhin, en jouant la carte du raisonnable, sauf que pas de chance, eux aussi sont souvent hybrides, parce qu’ils ne pensent pas qu’il y a de bonnes et de mauvaises techniques. Leur technique est un des moyens de leur domination, ils arraisonnent quand nous ratiocinons. En tout cas, ce fut une chouette idée de la part de Citroën, de construire exprès pour lui une DS5 décapotable. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que ce jour là, on intronisait non seulement le président de la République française, mais aussi le Dieu de la pluie en personne.

Comme nous n’assumons pas d’être une monarchie, nous ne transmettons pas un sceptre ou une couronne, mais des clés de bagnole. Et le carrosse est censé symboliser la manière dont le pouvoir sera conçu par celui qui y accède.

Le choix de Sarkozy s’était porté sur une bagnole qui n’existe pas. Si ça ne s’inventait pas dans des bureaux d’agences de communication, on dirait que ça ne s’invente pas : une Peugeot 607 Paladine, limousine décapotable construite sur base de familiale en vente libre dans les concessions, bref, alliance d’esbroufe et de sobriété bourgeoise déclinante, une bagnole qui semblait se dire qu’il allait falloir miser un peu plus sur l’apparence, ne trouvant pas mieux qu’augmenter l’empattement pour assurer l’épate, un peu comme on mettrait des talonnettes pour se donner la stature de quelqu’un qu’on ne sera décidément jamais. La France, quoi. Ou plus précisément la France sous Sarko, celle qui se racontait des histoires, y compris à travers les bagnoles qu’elle se choisissait. Une bagnole de riche qui n’avait même pas besoin d’exister puisque le « devenir riche » était une fiction, et que les riches achètent volontiers n’importe quoi, mais certainement pas une Peugeot convertible; déjà, en ce temps là, les milieux financiers préféraient les monnaies non convertibles, comme le yuan. La 607 Paladine était un concept-car avec un moteur, une parfaite illusion, quelque chose qu’on montre sur un podium porte de Versailles pour ébahir l’amateur, mais qu’on ne retrouvera jamais dans la rue parce que ça ne pourrait pas passer la phase d’industrialisation. Un vrai programme présidentiel en somme. Une histoire qu’on se raconte devant tout le monde. 

Un truc un poil trop grand aussi, pour un type aussi petit. Comme le costard d’un clown.

A gauche, on roule Citroën. La preuve, Chirac roulait en CX. Et ça pourrait être une bonne nouvelle, car de toutes les marques, c’est peut être la seule qui parvint, un temps, à faire cohabiter dans ses concessions le paysan qui venait y acquérir sa deuche, s’offrant une bonne à tout faire solide et astucieuse, et le patron qui prenait possession de sa DS flambant neuve, plus que neuve, même, puisqu’elle semblait venir tout droit du siècle suivant, ou d’une autre planète. Bref, Citroën sut – mais c’était un temps où l’homme d’affaire français avait, au cinéma, l’allure de Louis de Funes (avant que son double maléfique ayant pris le pouvoir, ne ridiculise tout à fait cette figure burlesque) – faire vivre ensemble deux mondes, créant là une identité que la famille Peugeot brisa consciencieusement quand elle racheta la marque. Au moment où Hollande prit le pouvoir, une Citroën était, tout autant que la 607 de Sarkozy, une fiction. Exit les ingénieurs, place aux marketeux qui savent que le produit importe moins que l’image qu’on en donne, car l’automobiliste roule plus dans l’idée qu’il se fait de sa bagnole que dans la voiture réelle qu’il a achetée; ou plutôt, non, il roule dans l’idée dont il suppose qu’elle germe dans la tête des autres quand ils le voient au volant. Une DS5, c’est tout à fait ça : un hybride qui ne peut se prévaloir ni d’un réel bonus du côté des consommations, ni d’un avantage écologique (c’est un diesel, donc un truc qui balance des particules fines partout). Ajoutons que, comme Citroën n’est pas tout à fait Toyota, on se demande si c’est censé vraiment fonctionner. Bref, c’est l’image que des ingénieurs français se faisaient de la voiture qu’ils pourraient produire, à ceci près qu’ils mettaient cette image dans la rue, les inconscients, avec notre président tout neuf dedans. Ai-je dit qu’en fait, j’aime la DS5 ? Non je ne l’ai pas dit ? Alors voila, je l’aime. Vraiment. Mais ça n’empêche pas de l’analyser un peu froidement pour ce qu’elle est, au-delà du sentiment premier qu’elle provoque. 

Mais la DS5 était aussi un fantasme économique : voiture moyenne vendue au prix d’une grosse berline, la DS5 s’adressait à un public qu’en d’autres temps Hollande avait affirmé ne pas trop aimer. Cadres sup’, qui n’ont pas l’intention de voir leur supériorité masquée par une bagnole banale (leur boulot ayant du mal à les distinguer véritablement),  libéraux qui aiment bien qu’on mesure leurs responsabilités à la valeur des objets qu’ils achètent, c’est à ce public que l’engin s’adressait. Bref, des gens capables de claquer 45000 € dans un truc pas très pratique, pas très très fiable, juste parce qu’il le trouvent cool. Des courageux, aussi, parce que ce que le marché dit, c’est que les types qui claquent autant dans une bagnole, ils veulent quand même être sûrs de leur coup, dès lors, ils vont naturellement plutôt vers des propositions plus classiques, plus établies, plus conformistes aussi. Ajoutons que souvent, ils n’achètent pas leur bagnole, et que celle ci est financée par leur entreprise, qui préférera une marque qui se revend mieux, et qui ne donne pas l’impression de claquer du fric pour de la pacotille, quand bien même celle ci serait elle stylée. Bref, la DS5 s’adresse à un public qui, en fait, n’existe pas. Et Hollande, en la choisissant, montrait qu’il était parfaitement conscient qu’en fait, il faudrait entretenir notre imaginaire pendant cinq ans, parce que du côté de la réalité, il n’y aurait pas grand chose à se mettre sous la dent. Dès lors, on savait à l’avance que la gauche matérialiste (celle qui aurait plutôt choisi une Dacia pour remonter les Champs Elysées) ne pourrait pas suivre le mouvement de sur place qui s’initiait déjà. Ou alors il s’agissait de dire qu’on allait véritablement changer la donne, et qu’on allait créer un marché qui n’existait pas encore. Depuis, on sait que ni Hollande, ni DS n’ont découvert ou inventé de nouveau monde. Hollande s’est adapté aux choses telles qu’elles sont, renonçant à les changer, et la marque sortie du sein de Citroën s’est aussi fait une raison : elle ne révolutionnerait rien du tout et, à vrai dire, c’est la léthargie présidentielle qui semble l’avoir frappée, puisqu’elle n’a rien sorti de très passionnant depuis que notre maître à tous a posé dedans son postérieur trempé par la pluie. Déjà à l’époque, on s’inquiétait un peu du spectacle de cette bagnole qui semblait ne pas très bien aller à ce type qui semblait lui-même ne pas très bien aller à sa fonction, à moins que ce soit tout l’inverse. 

Certes, on était assez à l’aise dans les baskets du consommateur un peu compulsif (et on l’est toujours, il faut l’avouer). Certes, on était même capable de se laisser embobiner trente secondes par une bagnole qui nous rappelle les concept-cars qui nous faisaient rêver avant qu’on atteigne l’âge de raison. Cependant, on avait déjà compris que le marché ne solutionnerait rien, et qu’on n’en était plus à se dire qu’augmenter la consommation était forcément une bonne chose. Sauf à surfer sur une bulle financière encore plus grosse que les précédentes, sauf à faire en sorte que tout le monde s’endette encore plus, on voyait mal pourquoi notre marché enflerait soudainement. Il aurait fallu que quelqu’un, dans son entourage, signale à Hollande que la bagnole qu’il avait choisie comme vitrine (quoiqu’en fait, c’était Hollande qui servait de vitrine à la bagnole), correspondait effectivement à un nouveau marché, quelque part au soleil levant. Et comme chez PSA, on produisait de moins en moins en France, et que les actionnaires principaux sont depuis longtemps exilés en Suisse, le sens caché de ce choix, c’était qu’il n’y a pas grand chose qui puisse être fait contre la mondialisation; on peut juste se montrer fiers d’en avoir été les initiateurs, juste avant que le principe nous échappe.

Bref, le changement de fond, ce ne serait pas pour maintenant. Il s’agirait toujours de doper la croissance en favorisant la consommation d’autres que nous. Les français savent s’y prendre, pour faire « comme si de rien n’était », et on avait élu ce type exactement pour ça, pour faire comme si cinq ans plus tôt on n’avait pas élu son prédécesseur. La DS5, dans l’insolence de sa présentation, était finalement un bel emblème. Achetons achetons, et si on n’y arrive pas, faisons acheter les chinois, tant pis si la caution écologiste placée au gouvernement pour fermer sa gueule devant un programme pour le moins éloigné des exigences environnementales pouvait déjà voir là comme une trahison  (mais on peut abandonner le combat pour le milieu quand il s’agit d’entrer dans les milieux autorisés).

A strictement parler, personne ne dit clairement que le pouvoir d’achat tel que nous le pensons, associé à la consommation telle qu’on se la représente est un modèle totalement fictif, pour nous comme pour les chinois, qu’il est perdu d’avance, qu’il nous entretient dans un espoir qui sera nécessairement, violemment déçu, et qu’il est dangereux. On pourrait, dans un autre monde, applaudir Citroën pour l’audace d’une partie de sa production, pour son aptitude à ambiancer nos déplacements fantasmés, mais c’est là une logique et une esthétique qui relèvent d’un monde qui meurt, et qui contribue à accélérer cette mort. On aurait espéré que le prophète du changement qui serait maintenant fut un peu plus clairvoyant quant à ce genre de signes.

Bref, on ne savait pas où on allait, mais c’était pas grave, puisqu’on avait une super bagnole. Après tout, c’est la définition de l’errance, et peut-être faudra-t-il renoncer un jour à poursuivre quoi que ce soit, et à se laisser aller. 

Dans quelques semaines, Emmanuel Macron devra choisir un bolide pour remontrer les Champs-Elysées. Ce n »est pas que je n’imagine pas du tout que Marine Le Pen puisse gagner cette élection, mais, en fait, ça n’est pas intéressant, elle roulerait en Peugeot, c’est évident. Une bonne vieille 508, un truc qui pose sa femme, une valeur sûre du patrimoine frrrrrançais. Et, à vrai dire, l’image de Marine Le Pen remontant en direction de l’Arc de Triomphe serait à ce point parasitée par d’autres images, d’archives celles-ci, faisant résonner bien plus fort encore que le bruit des sabots des chevaux de la garde républicaine, des souvenirs sombres, qu’on ne ferait même pas attention à la bagnole dans laquelle elle se tiendrait là, droite comme l’injustice, saluant la houle en délire. Non, l’exercice est plus intéressant si c’est Macron. D’abord, parce que pour le moment, on ne le voit pas faire. L’image ne se forme pas. Mais c’est pas plus mal, parce que du coup, on peut échafauder des hypothèses. A strictement parler, s’il voulait jouer l’homme moderne, il se mettrait lui-même au volant, et n’aurait dès lors pas besoin d’un gros machin. Puisqu’il est le fils caché de Sarkozy et de Hollande, il lui faudrait un concept car pioché chez DS, la marque fille aînée de Citroën. Une petite virée en E-tense au milieu des troupes, dans le silence des propulseurs électriques, ça pourrait être une belle entrée dans le règne. Mais Macron n’est pas du genre à changer les habitudes, il se dirait même que c’est un faux jeune. Mais comme il doit continuer à cacher son père, il se pourrait qu’il ne roule pas en Citroën le jour de son sacre. Ce que je pronostique, c’est que DS lui dégote un modèle de pré-série du nouveau DS7. Un truc juste bling-bling comme il faut (et je suis parfaitement conscient que le bling-bling n’est pas, par essence, « comme il faut », mais faites confiance à DS, ils savent faire ce genre de choses). Un engin pas encore en vente, mais déjà dévoilé, qui ne choquera personne, un bon vieux SUV, quelque chose qui fait moderne et traditionnel à la fois, selon ce que les gens imaginent être moderne, et traditionnel. Une bagnole qu’on présente ici, mais qui se vendra surtout ailleurs, parce qu’il est probable qu’au fond, son programme, ce soit ça : développer une activité qui ne nous est pas destinée.

Vous la verrez, la bagnole de Macron ? Eh ben d’après son programme, elle sera pas pour vous.

 

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