Le paradoxe du design industriel, c’est qu’il a pour but de nous donner satisfaction sans pour autant correspondre exactement à ce qu’on en attendait. Et ce défi est plus grand encore quand il ne s’agit pas de créer quelque chose de toute pièce, mais de remplacer un produit qui existe déjà, qui est très fortement ancré dans l’esprit du public, et dont la révélation est donc précédée d’exigences préalables qu’il ne faut pas décevoir. Un nouveau produit ne peut pas se contenter de ne pas décevoir. Il doit convaincre et conquérir. Or on ne vainc pas sans péril. Le risque, c’est la part incertaine du design, c’est ce qu’on propose sans être tout à fait certain que ce sera compris, adopté, et apprécié.
La Clio 5 ne prenait pas grand risque : on y voyait clairement le visage de la génération précédente, comme si on rencontrait, adulte, une femme qu’on avait connue adolescente. Plus aboutie, un peu assagie, embourgeoisée, l’allure un peu moins frêle, davantage de soin étant apporté à ses détails. En quelque sorte, elle était la version aboutie de celle qu’elle remplaçait. Mais du coup, si le public était rassuré par le fait qu’il s’agissait, très manifestement, d’une Clio, il y avait néanmoins une petite frustration liée au fait que la marque, sur ce créneau crucial, paraissait un peu paralysée par l’enjeu du remplacement de son modèle phare : pour être sûr de ne pas se tromper, elle répétait la même recette. Ca faisait penser à Michaël Jackson enregistrant l’album Bad comme un décalque de son chef d’oeuvre Thriller : chaque morceau semblait être une reprise d’un titre de l’album précédent, cherchant à rééditer l’exploit une deuxième fois. A jouer ce jeu là on oublie que la première fois ne peut être être vécue de nouveau à l’identique. La redite est perçue comme une répétition qui ne peut pas avoir le charme de la découverte. La Clio 4 nous avait initiés à quelque chose de nouveau. La Clio 5 était comme une rencontre avec quelqu’un d’expérimenté, certes, mais qui ne faisait que déployer des charmes déjà connus. On savait où on mettait les pieds, mais on était aussi certain que ça ne serait pas sur la Lune.

Le Risque de l’inédit
On comprend, en découvrant la Clio 6, pourquoi Renault tenait à ce point à ne rien en montrer avant l’heure : cette fois-ci, le modèle vedette change totalement d’orbite. Il ne s’agit plus d’une mise à niveau, ni de l’évolution d’un modèle déjà existant. C’est une proposition complètement nouvelle. Comme l’était la Clio 1 en son temps, qui mettait fin au règne de la 5. Comme l’étaient aussi les Clio 2, 3 et 4. La 5e édition était en fait une exception dans la descendance : toutes les autres générations semblaient partir d’une page blanche pour proposer, et finalement imposer leur forme nouvelle au sein d’une lignée dont les incarnations étaient très nettement distinctes. On retrouvait un certain esprit, mais il prenait forme d’une façon sans cesse réinterprétée. C’est ainsi que naissent les Renault, et c’est ce qui rend leur histoire très différente du récit formé par la succession beaucoup plus génétiquement conforme des Peugeot.
Et à vrai dire, c’est très précisément pour cette raison qu’on se disait que Gilles Vidal aurait du mal à s’adapter à Renault. Et on en a eu une forme de confirmation dans la façon dont, soudain, son compte Instagram n’était plus nourri par les références aux anciens modèles de la marque pour laquelle il travaillait désormais. Chez Peugeot, on lisait dans sa mémoire, et on y découvrait la 205, le coupé 504. Et on a vite deviné que la jeunesse de Vidal avait été un peu moins marquée par les Renault 30 ou les 4L. On a compris aussi que la façon dont le Losange avait entrepris, ces dernières années, de réitérer ses modèles iconiques d’antan ne pourrait pas coïncider non plus à sa conception de l’hommage au passé, et à sa façon de créer. Ce transfert m’a toujours fait penser aux fameux malentendus dont Jean-Claude Dusse savait qu’ils étaient les préludes nécessaires aux aventures d’un soir, sans lendemain.

La Gamme Renault : deux salles, deux ambiances
Si on se demande ce qui peut pousser Renault à faire à ce point table rase du passé, on a ici deux raisons. La première, c’est que c’est sa manière de faire, depuis toujours. Il n’y a pas de vocabulaire de forme pérenne. Chaque génération de modèles s’inspire de l’air du temps, aspire l’époque, aussi bien sociologiquement, culturellement, que techniquement, pour la restituer sous forme automobile. L’époque Le Quément est un peu une exception dans l’histoire de Renault : à ce moment, la marque a généré un vocabulaire inspiré de l’architecture, extérieure et intérieure, qui avait manifestement comme projet de perdurer dans le temps. Mais finalement, c’est quand Renault ne respecte aucune tradition que la marque se correspond le mieux. Et c’est pour cette raison qu’il faut observer sa tendance au revival avec une certaine méfiance. Il en va de la culture de certaines marques comme des cultures nationales : le bégaiement et la glorification du passé son un des symptômes de leur mort imminente. La deuxième raison, on vient en fait de l’évoquer : il y a deux gammes chez Renault désormais. La gamme néo-rétro, qui ressuscite les morts, et la gamme que, paradoxalement, on va appeler « classique », qui ne cesse, elle, de se renouveler. Et, parce que la R5 essaie d’être, le plus possible, fidèle à son propre passé, il est nécessaire dès lors que la Clio, elle, rompe avec celles qui l’ont précédée. Et si on cherche dans la culture populaire les racines qui nourrissent la nouvelle venue, on pourrait dire ceci : elle est un peu la fille du manga, comme la Renault 5 avait été nourrie à la bande dessinée.
Ainsi, la Clio 6 ne ressemble pas à ce à quoi on s’attendait. On n’y retrouve pas la 5, et comme la 5 était conforme à la 4, on n’y retrouve pas non plus la 4. Disons ça autrement : les anciens clioïstes ne retrouveront pas leurs marques dans ce nouveau modèle. Nuançons tout de suite cette affirmation. Ce dépaysement est en réalité purement stylistique. Car sur le fond, il n’y a pas de rupture technique entre la Clio 6 et celle qu’elle remplace. La plateforme sur laquelle elle est conçue est largement éprouvée, même si elle évolue un peu ; dès lors, en fait, l’expérience de conduite qu’elle va proposer sera très semblable à ce qu’on connaît déjà. Si on la compare à la future 208, on sait que celle-ci va marquer une rupture plus fondamentale, y compris dans la relation que le conducteur aura avec la voiture : nouveau volant, direction « virtuelle », on peut s’attendre à une nouvelle génération d’icockpit et son physique inaugurera un style radicalement nouveau, annoncé par Inception. Si la Clio avait été conforme à l’idée qu’on s’en fait, elle n’aurait rien apporté de nouveau face à une concurrente qui, elle, s’ingénie à redistribuer les cartes. Il était donc nécessaire que son physique témoigne d’une forme de mouvement.
C’est sans doute la raison pour laquelle on ne la reconnait plus, quel que soit l’angle sous lequel on l’observe. Il y a certes une posture générale, avec un porte-à-faux arrière extrêmement réduit, qu’on peut reconnaître. Mais ce trait à lui seul ne peut pas suffire à la singulariser. La Clio fait table rase de nos repères visuels, et il faut la lire avec un regard nouveau.

Marques, repères
Le problème, c’est que les designers ne nous aident pas beaucoup. Parce que si on ne reconnaît pas une Clio, notre mémoire nous joue cependant des tours et on a l’impression de voir, ici, d’autres modèles, issus d’autres marques. A l’avant, on pense à Ford, de profil, on a des réminiscences de Peugeot et de Mazda, à l’arrière, certains perçoivent des airs de Chevrolet Camaro ou d’Alfa Romeo. Et ça, c’est nouveau pour une voiture qui arbore le Losange. Une Vel Satis, une Twingo, ne ressemblaient à rien de ce que la marque avait jusque là produit, mais elles ne faisaient pas non plus penser à d’autres modèles issus d’autres marques. Ici, la Clio semble puiser dans un répertoire de formes existant déjà, piochées dans d’autres vocabulaires, comme si la marque ne savait plus trop quoi nous dire, ni en quelle langue nous parler. Ca, c’est l’hypothèse la plus sombre et la plus critique. On va peu à peu en développer une autre : c’est peut-être l’univers automobile dans sa globalité qui ne sait plus à quel récit participer. Et dans cette perspective, la Clio 6 n’a pas pour simple tâche de succéder à la Clio 5, mais de porter l’héritage d’un genre de voitures à part entière, qui est en train de peu à peu disparaître, d’où son allure très oecuménique, et son empreint à plein d’autres marques. Elle serait à l’automobile ce que Rockollection est à la musique pop.
Jusque là, le design Renault pouvait être surprenant au premier regard, tout en trouvant une justification dans un deuxième temps quand on le regardait de plus près. Ici, pour ne parler que de la calandre, on a un peu de mal à se dire qu’elle devait nécessairement avoir cette forme ci plutôt qu’une autre. On se dit « Pourquoi pas ? », mais ce faisant, on se dit aussi que la voiture pourrait avoir une autre calandre sans que ça change grand chose ou que la voiture pourrait porter un autre badge, sans que ce soit choquant. Pour le dire autrement, en rappelant de mauvais souvenirs : avec Latitude, Renault nous servait une grande berline totalement générique, parce que la marque n’avait plus rien à nous raconter sur le segment du haut de gamme. Mine de rien, l’Espace a suivi une voie semblable. Et maintenant, on a l’impression que la Clio témoigne à son tour de cette angoisse de la page blanche, comme si la marque agissait sous l’emprise d’une fébrilité telle qu’elle préférait s’appuyer sur des ingrédients déjà connus, assemblés certes dans un cocktail nouveau, sans pour autant prendre le risque de créer quelque chose de toute pièce.

Grande Gueule
Puisqu’on évoque la calandre, tentons de lui rendre justice malgré tout. Un des enjeux de la Clio, c’est de se démarquer de sa sœur de lait demi-écrémé, la R5. Sur ce point, le contrat est rempli : il n’y a aucun risque de les confondre. Au-delà de leur singularité respective, cette grande bouche, aussi simulée soit-elle, permet d’évoquer stylistiquement son attachement au moteur thermique. A une époque où tout le monde, constructeurs comme clientèle, semble lever le pied face au virage électrique, la Clio exprime ici quelque chose de rassurant : elle a besoin d’air pour fonctionner. Et autant on peste un peu quand on voit un modèle électrique faire perdurer une calandre dont il n’a strictement aucun besoin fonctionnel, autant ici on ne va pas commencer à se plaindre qu’un modèle thermique ou hybride soit doté de ce qui lui sert à respirer. Certes, une bonne partie des ouvertures de la face avant de cette Clio sont factices (et ça se voit un peu trop, comme sur bon nombre d’autres modèles), mais au moins, il y a un lien entre la forme et la fonction, qui évite de proposer un design complètement mensonger. La forme de cette pièce est classique, générique, au point qu’en la voyant on pense spontanément à Ford, au point de lier la Clio moins à la marque dont elle porte le logo qu’à l’histoire de l’automobile et du moteur à explosion dans sa totalité. Finalement, ce qui arrive ici à la Clio, c’est un peu ce qui était arrivé à la Citroën C5 de deuxième génération : pour faire plus « bagnole », elle tisse des liens avec l’univers automobile, au-delà des limites de sa propre marque.
La très très large ouverture qui dévore le bouclier avant répond à la même logique : cette voiture a soif d’oxygène. La signature lumineuse diurne, de part et d’autre, vient encadrer cette béance, et va permettre de reconnaître de loin la voiture, comme on peut le faire sur les Peugeot actuelles. De face, ça marche bien. En revanche, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien avec la vue de profil, parce qu’on perd alors toute impression de relief et de profondeur, et la géométrie de cette signature s’aplatît au point de devenir méconnaissable.
Reste que, au-delà de l’appréciation subjective qu’on peut en faire, cette face avant réussit quelque chose qui ne se voit pas au premier coup d’œil : éviter de recourir au double étagement des éléments lumineux qui, depuis que Citroën en a inauguré le principe, sert à dissimuler la hauteur de la face avant des automobiles contemporaines. Ici, ce trompe l’œil est le résultat de l’agencement des différents éléments qui composent ce visage. Les optiques, sur lesquelles on reviendra, sont implantées assez bas. Mais l’épaisseur du volume qui les surplombe est divisée par le double étagement des ailes, puis du relief du capot qui vient former le pourtour de la calandre. Ce relief, projeté vers l’avant, a l’espace nécessaire pour descendre d’un étage et venir inscrire l’ouverture frontale assez bas, ce qui affine l’avant de la voiture. De profil, ça fait beaucoup penser à la 208, et ce d’autant plus que les arches de roues noires, qui poursuivent le même objectif d’affinage des ailes, se trouve lui aussi sur les deux modèles, identiquement, mais de pleine face, cette référence s’efface pour évoquer davantage la marque Ford, comme on l’a déjà dit. Mais à strictement parler, si on regarde une Toyota Yaris, un travail un peu semblable est mené pour embrouiller un peu la vue. La signature lumineuse de la Renault encadre à elle seule deux étages de cette face avant : la prise d’air inférieure, mais aussi l’élément qui sert de pare-chocs. Ainsi, elle contribue visuellement à faire fusionner les deux éléments, et à perdre ainsi un peu le regard. Comme sur la 308 faceliftée, on ne sait plus très bien ce qu’on regarde : est-ce le bas du bouclier ? Ou le pare-choc ? (ou les optiques sur la Peugeot) ? Si le regard est un peu égaré, il perd le sens des proportions et il ne saisit plus la masse en tant que telle, il se disperse dans les éléments qui la composent. Ce n’est pas très identitaire, mais c’est tout de même assez finement joué.

Les Yeux révolver
Les optiques, maintenant. On peut être un peu surpris par la façon dont elles semblent rapportées au volume, sans s’y intégrer tout à fait, comme s’il s’agissait d’éléments ajoutés ou même branchés sur la voiture. Le procédé fait un peu penser à des optiques de moto. Certains y ont vu le regard de Terminator. On peut penser aussi à un élément optique prélevé sur un Decepticon. Esthétiquement parlant, ils me semblent jouer le même rôle que les autres éléments : insérés dans un espace plus grand, ils permettent eux aussi de noyer le regard. Les différents volumes qui composent l’avant permettent de ne pas cerner le volume réel de celui-ci. Si les optiques collaient à l’évidemment dans lequel elles sont insérées, elles sembleraient trop grandes, et un peu disproportionnées. Si l’évidement était à la dimension des optiques, ce sont les ailes qui sembleraient massives. Ici, la conjugaison entre le grand emplacement et les petites optiques permet d’éviter ces deux effets de masse. C’est, en somme, encore, un trompe-l’œil. Ca permet aussi de donner une allure technoïde à un élément qui, en fait, est finalement assez basique techniquement. Esthétiquement, ça donne un regard à la Clio, et il y a un enjeu autour de cette question, car la R5, elle, arbore déjà de véritables yeux, profonds, amusés, vifs, qui lui donnent une véritable présence. La Clio ne peut pas se permettre d’avoir le regard perdu dans le vague, mais elle ne peut pas non plus recourir aux mêmes artifices que sa petite sœur. Ici, c’est plutôt réussi. Moins sympathique mais tout autant présent, son regard paraît acéré, précis. Le bloc noir dessine de véritables paupières sous les arcades sourcilières formées par le relief de l’aile. On a l’impression que la voiture regarde la route par en-dessous, qu’elle veille discrètement, un peu menaçante sans paraître pour autant agressive. Maintenant, une question se pose à propos de ces éléments cruciaux dans l’allure d’une bagnole : comment ça va vieillir ces optiques en plastique laqué noir surlignés de détails un peu métallisés ? Vous savez quoi ? J’ai dans l’idée qu’en fait, si ça vieillit mal, c’est pas si grave : cette Clio a un petit côté déglingos qui devrait lui permettre d’avoir toujours de l’allure quand elle sera un peu abimée à droite à gauche. Et c’est peut-être bien un élément qui me la rend sympathique, car c’est devenu rare dans la production actuelle.

Longueurs et pointes
Puisqu’on a commencé à tourner autour de cette voiture, continuons. Le profil est, très nettement, différent de ce que Renault proposait jusque là. Le dessin du vitrage en particulier, s’achève sur une pointe postérieure à laquelle la marque ne nous avait vraiment pas habitués. C’est que l’allongement du modèle, par rapport à la cinquième génération, permet de disposer d’une lunette plus inclinée, qui redéfinit la surface du vitrage latéral et permet cette nouvelle géométrie. L’effet est très graphique, ce qui déconnecte un peu l’intérieur et l’extérieur de la Clio : cette pointe est une simple pièce en plastique noir, ce n’est pas une vitre de custode. Jusque là, la forme extérieure du vitrage coïncidait davantage avec l’architecture intérieure de ce modèle. Ici, la démarche fait un peu penser à ce que Lancia a fait sur l’Ypsilon, sans aboutir à un résultat identique, parce que la pointe n’entre pas en contact avec la lunette arrière : elle dessine l’un des bords du montant C, qui a ceci de particulier qu’il est plus fin à sa base qu’à son point culminant. Un trait de caractère qu’on trouve fréquemment chez Mercedes, mais qui se trouvait, aussi, sur le 3008 MK2, conçu par un certain Gilles Vidal. Est-ce une forme de signature ? Quelque chose nous dit qu’on n’en saura rien avant bien longtemps. Mais cette nouvelle façon de sculpter la forme postérieure du pavillon est intéressante, car elle est structurante : elle permet de tracer une ligne discrète, mais forte, qui descend vers la face arrière, tendant tout l’habitacle vers l’arrière comme la corde d’un arc qu’un doigt invisible aurait saisie pour bander l’arme, prêt à décocher la flèche. Ce qu’on peut regretter un peu, ici, c’est que cette tension ne parvienne pas à dialoguer de façon tout à fait satisfaisante avec le hayon, la lunette arrière et, surtout, le déflecteur aérodynamique qui la surplombe. C’est sans doute sur cette partie de la voiture qu’on peut avoir un petit sentiment d’inachevé.
Tout se passe en fait comme si les flancs, au niveau de l’habitacle, étaient suffisamment conventionnels pour compenser les audaces des face avant et arrière de la Clio. Car à l’arrière, le design fait preuve de partis-pris qui peuvent cliver un peu le public, et faire hésiter le client. Mais rien ne dit l’issue de cette hésitation. Peu à peu, les constructeurs éduquent le regard, aiguisent les goûts et la clientèle devient capable d’aller vers des propositions qui, a priori, peuvent ne pas sembler évidentes. La façon dont les ailes sont creusées aux quatre coins de la voiture pour accueillir les optiques a quelque chose d’assez déconcertant au premier abord, mais à l’arrière, ce détail joue le même rôle qu’à l’avant : alléger la masse en l’évidant en partie, et rendre le volume plus léger. Ce faisant, ce détail de style ménage un effet intéressant car il donne l’illusion d’une aile plus large, puisqu’elle semble épaulée à partir du creux dans lequel s’insère l’optique. Exactement comme on le voit sur une 308, ou un 3008, mais avec un résultat visuel distinct. Là aussi, si on veut voir l’influence de Gilles Vidal, c’est peut-être dans cette direction qu’il faut chercher, on sait son goût prononcé, et justifié, pour les épaulements marqués. Ici, ce coup de cuillère tracé dans la mousse au chocolat (ce sont les termes utilisés par Paula Fabregat-Andreu, directrice projets design de Renault, au micro de POA, et l’image est éclairante) permet de disposer cet épaulement sur deux étages, sans véritablement élargir à ce point la voiture. L’effet fonctionne ici encore, dans une illusion d’optique efficace, liant la musculature et l’allègement.
Si on devait à notre tour faire une métaphore, on pourrait dire les choses ainsi : la Clio 5, c’était un peu Brad Pitt, dans F1, faisant son jogging dans un survêtement à l’ancienne, large, limite baggy, plus large que sa stature véritable, lui donnant un aspect un peu massif. La Clio 6, elle, porte sa tenue de sport plus près du corps, à la façon dont les survêtements contemporains viennent épouser les mollets au plus près, pour en souligner le relief et la finesse simultanément. Il semble qu’on peut lire le pincement de l’arrière de la Clio de cette façon, et c’est ainsi qu’elle parvient à conjuguer sportivité, et légèreté. Bref, elle est plus branchée foot que rugby.

The Brutalist
A l’extrême arrière, on retrouve des thèmes, des formes, qui permettent d’émettre des conjectures sur l’héritage laissé par Gilles Vidal à Renault au cours de son météoritique passage. La face arrière est abrupte et ça nous rappelle, avec beaucoup plus de rondeurs, ce qui se passe sur la face postérieure du 3008 actuel. Comme sur celui-ci, c’est tout juste si la pente du coffre n’est pas inversée, le losange maison penchant en surplomb du pare-chocs. On a ici l’impression que l’arrière a été brutalement tronqué pour limiter le plus possible le porte-à-faux, un peu comme un boxer (le chien, pas le moteur à plat) dont la queue a été coupée pour le rendre plus râblé, avec une silhouette propulsée vers l’avant. J’avais évoqué, en analysant le 3008, une inspiration possible dans le coupé SZ exécuté pour Alfa Romeo par Zagato. Même jeu avec les (dis)proportions, même façon brutaliste de ne pas faire dans le détail, de se débarrasser des fioritures pour proposer un design tranché, très graphique, comme si les sketches des designers étaient invités à circuler, tels quels, dans la rue. La Clio est à peine moins brute de décoffrage. Elle m’évoque, elle, les petites japonaises des années 70, comme la Datsun 100A, avec son vitrage qui remonte lui aussi vers le pavillon et son coffre coupé net comme si Leatherhead avait donné un coup de tronçonneuse sur son postérieur. Elle me fait aussi penser à Alfa Romeo, et plus particulièrement à la 156 qui joue une partition différente, à partir de quelques principes finalement assez proches. Toutes proportions gardées, c’est cette allure qu’adopte aussi la Suzuki Ignis1, à une échelle plus réduite. Ce qui est intéressant, c’est que cette Clio 6 propose, en signature postérieure, une allure plus nerveuse, moins évidente au premier regard, que toutes celles qui l’ont précédée, même si certaines d’entre elles faisaient aussi en sorte de ne pas être du tout conventionnelles. Ici, le regard cherche un peu comment les feux sont liés à la carrosserie, on dirait presque que ce sont des éléments qui pourraient être échangés contre d’autres pièces, avec d’autres designs.

Je doute que ce soit, industriellement, la direction suivie par Renault mais ça me fait penser aux singles de Depeche Mode, dans les années 80 : People are people, Master and Servant, étaient des morceaux constitués de modules sonores produits de façon tellement distincts les uns des autres qu’ils étaient une invitation quasiment officielle au sample, et au remix, comme si le groupe disait au monde « voici les éléments de la chanson, à vous de vous en emparer pour vous approprier les morceaux et les bricoler à votre façon ». Finalement, le remix est à la musique ce que le tuning est à l’automobile. On a ici un peu l’impression que la marque invite à s’approprier la Clio 6 en réinventant les modules esthétiques qui la composent. Et même si le monde, finalement, ne le fait pas, le seul fait que son design semble le proposer témoigne d’une forme de connexion à l’époque qui a aussi quelque chose de réjouissant. Après tout, Renault n’est pas la seule marque à déconnecter visuellement les optiques de la silhouette de la voiture : Citroën le fait aussi, sur la C4 et sur le C5 Aircross. Lancia le fait aussi, sur son Ypsilon.
Précisons que, sans aller jusqu’à proposer diverses optiques, Renault a prévu un petit programme de personnalisation, qui passe par des déflecteurs arrière, et des bas de caisse que le client peut monter lui-même pour personnaliser un peu plus sa Clio. On en trouve une évocation sur certaines illustrations.

Lieu commun
On va passer plus vite sur l’intérieur, car c’est l’aspect de la voiture qui réserve le moins de surprises. Structurellement parlant on retrouve les écrans déjà connus chez Renault et, donc, l’infotainment qui l’accompagne. On n’est donc pas dépaysé. Les matériaux, eux, présentent quelques singularités, comme les dégradés progressifs qui vont des teintes froides à des nuances de métal brûlé, comme si le matériau même avait été chauffé au point d’en garder les traces. C’est la partie basse de la planche de bord qui semble un peu commune et banale, ainsi que la console centrale qui reprend à Fiat le principe du couvercle magnétique, qui ne semble ni très distingué, ni très pratique. Etrangement, en photographie du moins, on n’a pas l’impression de retrouver à l’intérieur l’espace qu’on pourrait espérer y trouver, malgré l’augmentation des cotes de l’auto. Celle-ci profite uniquement à la longueur, mais il est possible que le seul bénéficiaire soit, en fait, le style de la voiture. Il y a un soin apporté à certains détails, comme les contreportes avant, sur lesquelles on trouve une finition lumineuse qui fait penser à ce que DS pourrait proposer. C’est un peu étrange en fait, peut-être un peu trop précieux pour une Clio, et on cerne mal comment un tel détail se conjugue harmonieusement avec un aspect extérieur soigné, certes, mais très éloigné de l’ambiance joaillère cultivée par les marques premium. On était assez rassuré que Renault ne suive pas cette voie qui conduit parfois à des modèles un peu ridicules, à force d’être précieux. On n’est pas sûr que ce cristal de contre-porte soit en phase avec l’univers dans lequel semble vouloir évoluer cette Clio Number Six. Mais après tout, la Clio a toujours été une voiture conçue autour de l’idée qu’elle avait tout d’une grande. A une époque où les grandes voitures sont souvent des lupanars décorés comme une salle de jeux du Caesar Palace, après tout, il n’est pas complètement absurde que cette petite voiture chipe au passage un tube néon pour s’en parer, l’air un peu canaille.

L’Effrontée
Ce qu’on peut honnêtement dire à propos de cette Clio, c’est qu’avec elle, au moins, il se passe quelque chose. Et son côté déconcertant va bien avec l’air du temps. Au même moment, BMW montre quelle voie la marque va suivre à l’avenir, Audi indique aussi un changement de cap qui devrait avoir des effets sensibles sur les futurs modèles (on va en parler très prochainement). La Clio 6 n’épouse pas tout à fait le même mouvement : laissant le soin à la R5 de jouer les machines à remonter le temps, elle ne fait pas référence à l’histoire de sa propre marque, et préfère la jouer cavalière seule. Elle ne puise pas son vocabulaire dans les décennies précédentes, et on ne peut sans doute pas lire non plus l’avenir dans les lignes de ses hanches. Elle est à elle-même sa propre culture, elle tente le coup d’un visage dont on ne lira probablement pas les traits dans les autres modèles de la gamme. En se présentant comme un One-Shot qui a dès lors le mérite de la pure singularité, elle a ceci d’intéressant que, comme toute Renault qui se respecte, elle tisse des liens avec la culture dans laquelle elle baigne, ici et maintenant. A la regarder comme ça, vite fait, en se laissant un peu imprégner par le style visuel de la vidéo qui la présente, par la mise en scène de sa révélation, je me disais que ça pourrait bien être le daily de Miles Morales, le petit bolide nerveux destiné à tracer des trajectoires obliques dans les villes orthogonales, noir et rouge comme une spider-car. Elle a aussi ceci de particulier et de peut-être touchant qu’elle semble condenser en elle des témoignages de ce qui peut encore définir une automobile populaire, encore une fois au moins, peut-être la dernière. Parce qu’il en va de la lignée des Clio comme de toutes les autres saga automobile : la saison 6 pourrait ne pas avoir de suite. C’est un peu cette impression qu’on a quand on la regarde, d’être face à une voiture conçue comme si elle était la dernière de son genre. Et plutôt que jouer la surenchère avec la 208 à venir, qui marquera sans doute un véritable changement d’époque, il n’est pas aberrant que la Clio choisisse d’assumer cette place de « voiture à l’ancienne », et de jouer pleinement le rôle qui est le sien en faisant perdurer des plaisirs dont on peut penser qu’ils sont voués à disparaître.
Il faut peut-être profiter de cette Clio comme si elle était la dernière en son genre.



- J’ai bien dit « toutes proportions gardées » ! ↩︎
depuis quelques années on avait des échos comme quoi la future Clio 6 serait racée et sportive, et pouvait s’inspirer de l’arrière des Ferrari. Et puis les sketchs des magazines tous plus moches les uns que les autres, savaient pourtant qu’elle aurait aussi une calandre très marquée, et plutôt vulgaire!
Ils ne s’étaient pas trompés ! On s’y fait d’ailleurs assez vite, mais tout de même, et pour l’avant et l’arrière, qu’est ce que c’est que ces trucs! Des gélules platichonnes malgré le relief des entourages plastiques noirs, et cette calandre à la forme grincheuse constellées de verrues losanges, un peu ni faite ni à faire, et pourtant définitive…
Alors pourquoi tant de haine? En fait j’aime beaucoup cette Clio et j’imagine qu’elle aura beaucoup de succès. L’explication en est que depuis l’origine la Clio est une voiture sans calandre, la 1, la 2, la 3 la 4 et même la 5 (minuscule autour du gros logo) jusqu’à son restylage où là oui elle en a une et grande en plus. Les seuls trucs qu’il y a eu ces ces petits naseaux ou avant ou après restylage sur la 2 et la 3, un peu destinées à faire lien entre générations (et inspirant ou inspirés de ceux de la Mégane). Et cette calandre sur la 5 collée aux optiques ne fait pas transition avec ce nouveau groin.
L’autre élément qui ne fait pas assez Clio, depuis récemment en fait, c’est bien sûr cette ligne en pointe, vitrage latéral en feuille d’arbre, qui pour certains donc leur font penser au Ford Puma. Les designers ont juste prolongé par un cache noir ce qui en en dessous ou en deça est à peu près le vitrage des 2 Clio précédentes. L’effet du coup est différent avec cette custode si fine et dynamique, comme quoi la même chose ou à peu près devient si différent pour notre oeil habitué à nos repères.
Ce qui est devenu très Clio par contre même si c’est adouci sur la 5, ‘et inauguré à sa façon en 1990 sur la première!) c’est bien sùr ce moignon d’aile arrière qui vient appuyer sur le feu, avec un effet déjà creusé sur la 4 puis lissé sur la 5, et qui revient en force avec une très belle proposition je trouve, gràce au coup de la cuillère dans le pot de mousse au chocolat (la pauvre Paula a les traits tirés à force de répéter son mantra !) Bon pour moi c’est la partie la plus belle et la plus Clio et j’y vois plus la filiation LVdA que Vidal.
Les phares sont novateurs et font très modernes. J’y vois en fait l’application le plus proche possible des sketchs des designers qui s’amusent à proposer comme des éléments qui semblent se détacher des carrosseries. Très beau en dessin, ça donne du relief, pas évident à réaliser, ils ont décidé d’essayer et c’est super. C’est même peut être une première mondiale…Du coup j’aurais bien aimé plus de relief à l’arrière aussi, quelque chose de plus expressif et pas seulement mimétique.
Bon ça va nous faire une Clio attirante et presque excitante. Est elle si moderne malgré quelques appendices et éléments voyants comme les demi losanges éclairés? Par plusieurs aspects et détails j’y vois une petite Masda3 des années 2010 compactée et anamorphosée. Avec dèja des effets de creux et bosses, sans que personne n’ait crié au génie ou scandale! Même le petit becquet de carrosserie y est, ce que je n’avais pas vu au premier coup d’oeil! Bref tout y est ou presque!
https://www.autobild.es/coches/mazda/3/3-5-2018
Tout est affaire de revisitage et remodelage dans le design, et on ne demande pas à une Clio d’être particulièrement novatrice, donc il n’y a pas matière non plus à s’extasier….ni être effarouché.
Alors la supposition de ton texte, la spéculation intéressante sur l’avenir de la marque Clio, à laquelle je n’aurais franchement pas pensé, me semble très étonnante du point de vue du design. Ton intuition sera t’elle juste? Il faudrait que les véhicules électriques prennent tellement le dessus qu’il n’y aurait plus de sens à appeler Clio une voiture électrique post moderne et post R5 ? Supplantée définitivement par elle? Une Megane électrique n’a en effet pas bien fonctionné, trop petite pour le nom qu’elle porte, mais c’est juste une erreur marketing. Une Clio électrique à la bonne taille en 2032 aurait peut être plus de chances qu’un second shot R5 qui ne pourrait pas être plus grosse au risque de se dévoyer complètement. Moi je vois plutôt la Clio 7 récupérer la mise, en multi énergies encore. Au moment où des E Polo et E Golf vont apparaitre, ça me semble plus probable qu’une seconde R5 suivant les traces de la Mini. La pourtant si jolie Fiat 500 semblant sur le déclin, j’ai du mal à imaginer au delà de 2030 les resucées rétro futuristes. Qui vivra verra et pourvu que l’on ne roule pas tous en 2035 en Zastava et Lada obligatoires !
C’est le retour de tes commentaires !
Cette Clio fait le même effet à pas mal de monde on dirait. Comme une sensation en deux temps, tout d’abord on est déconcerté, puis on apprécie davantage à mesure qu’on s’habitue. Quelque chose me dit qu’elle va avoir du succès.
Sur la succession, je me dis que l’affaire est encore plus délicate pour la R5 : d’expérience, remplacer un modèle qui est une réédition d’un modèle plus ancien est un exercice un peu périlleux. On voit aujourd’hui ce qu’est devenue la Mini !
Il est de toute façon particulièrement difficile, pour le moment, de faire des pronostics fiables sur l’avenir.