S’il n’en reste qu’un

In Defender, Land Rover
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Combien de voitures sont, vraiment, attendues ? Je ne parle pas de celles qui, à intervalles tellement réguliers qu’on ne sait plus à quelle génération on en est, occupent le terrain en permanence, se reproduisant elles-mêmes comme on imagine les cellules le faire, presque à l’identique; je pense plutôt à celles qui sont restées, fidèles à elles-mêmes pendant des décennies, prenant le temps de vieillir pour de bon, de sembler simultanément tout à fait dépassées et néanmoins irremplaçables, antiquités certes, mais tellement intégrées au paysage qu’on n’imaginerait pas assister à la fin de leur production, comme si elles avaient atteint un stade divin qui leur conférait le don d’immortalité.

« Je serai toujours avec toi »

Le plus curieux, avec LE Land, c’est qu’il a atteint ce statut sans être, pour autant, une voiture diffusée massivement. Quand bien même c’est une voiture qui est fabriquée en série, ce n’est tout de même pas la voiture de Monsieur Tout l’monde. Mais présent partout de le monde, et tout particulièrement là où les autres voitures ne peuvent pas aller, il est connu de tous, et ce sous toutes les formes qu’on lui connait. Là aussi se joue quelque chose d’étrange : si du tout premier modèle de Land jusqu’au Defender tel que nous l’a connu jusqu’en 2016, ce modèle a connu des faces avant assez sensiblement différentes, il est demeuré ce bon vieux 4×4 dont on ne savait trop s’il fallait le classer dans la catégorie des outils agricoles, des engins militaires, des véhicules de chantier ou des voitures de luxe telles que les affectionnent les gentlemen farmers. Mille visages, autant de personnalités, trois longueurs différentes, des carrosseries totalement fermées, ou bien ouvertes à tous les vents, des coffres, des bennes, des galeries de toit, des roues de secours flanquées à droite, à gauche, sur le capot, sur la porte arrière ou sur le toit, des équipements par centaines, deux places avant, ou bien trois, une banquet à l’arrière, ou bien des sortes de bancs, le long de la paroi latérale, avec les passagers face à face. N’importe quel autre être, dans cet univers, aurait vu son identité se dissoudre dans une telle aptitude au métamorphisme, pourtant non, même quand on l’a appelé Defender, il est resté le même, reconnaissable entre tous, sous ses multiples formes, comme le seul et unique véritable tout terrain de ce monde.

D’autres sont proches, dans le panthéon des crapahuteurs, du statut qu’il a atteint, mais ils ne l’atteignent pas tout à fait. Le Land-cruiser évidemment, a une place particulière dans le cœur des amoureux de ce genre d’engins, mais il a été très tôt remplacé par des tout-terrains beaucoup moins rustiques, qui ont peu à peu pris tellement de distance avec l’originel que Toyota, pour l’évoquer dans son design contemporain, est obligé de le faire dans des modèles qui ne sont pas ses successeurs : le FJ Cruiser, ou bien le véhicule d’exploration lunaire conçu en compagnie de l’agence japonaise d’exploration spatiale. La Jeep, bien sûr, est aussi une voiture qui a sa place dans ce genre d’Olympe, avec les mêmes origines militaires, les mêmes aptitudes sidérantes à grimper, vraiment, n’importe où, et la même constance aussi dans sa production, qui donne l’impression qu’elle a toujours été là, et qu’elle le sera quand nous-mêmes aurons trépassé. Mais la façon dont la Jeep a survécu l’a éloignée des usages pour lesquels elle avait été conçue. Aujourd’hui, c’est strictement un véhicule de loisir, qui ne s’adresse plus du tout à la clientèle professionnelle de ceux qui ont besoin de ses aptitudes au franchissement pour travailler. Enfin, il y a le Classe G, qui partage un certain nombre de caractéristiques avec le Land Rover, mais s’est peu à peu transformé en caricature de lui-même, visant lui aussi une clientèle très riche, qui n’utilise certainement pas les incroyables caractéristiques techniques de l’engin qu’elle achète, se contentant de s’amuser à son bord, de façon un peu ridiculement sérieuse.

Ces modèles, qui semblent venir d’une époque où la route n’existait même pas, sont, selon comment on les regarde, les frères d’armes ou les ennemis du Land. Mais celui-ci les surpasse, parce qu’il n’est jamais devenu une représentation de lui-même. Soyons honnêtes, en fait, Toyota n’a pas dévoyé le Land-Cruiser, parce que la marque n’a pas tendance à surexploiter son propre passé. Mais la Jeep et le Classe G n’ont plus grand chose de commun, à part leur forme générale, avec ce qu’ils ont été à l’origine. Demeuré, strictement, un engin à tout faire, et rien de plus, le Land aura finalement tiré de cette racine laborieuse son aura. Les autres, ils brillent. Lui, il bosse. On ne va pas ressortir ici la dialectique du maître et de l’esclave telle que Hegel l’a exposée, mais on pourrait au moins dire ceci : quand on cherche à échapper à ce qu’on appelle le travail, quand on pense se soustraire à l’effort, à la transformation de la nature, alors c’est comme si on devenait l’ombre de soi-même, comme si peu à peu on était effacé de ce monde, en n’y prenant plus part, en n’y laissant plus de trace, de témoignage de soi.

Pour ces raisons, on peut considérer qu’ils sont très forts, chez Land Rover. Car ils ont fait mieux que remplacer le Defender : ils l’ont prolongé. En ne cherchant pas à singer celui que tout le monde jusque là connait sous ce nom, ils ont évité d’insulter leur propre passé, et celui-ci conserve ainsi toute sa pureté. Le Defender tel qu’on le connaissait ne sera pas dépassé par celui qui apparaît. D’ailleurs, il ne disparaîtra probablement jamais.

L’irremplacé

De toutes les voitures qui ont existé, le Defender est sans doute l’une de celles à laquelle le plus grand nombre d’ateliers, aujourd’hui, dans le monde, consacrent du temps, du savoir-faire et des heures de boulot pour entretenir, restaurer, reconstruire parfois à partir de zéro les modèles existant encore, parfois réduits à n’être plus que de simples caisses (mais après tout, qu’est qu’un Land, si ce n’est une bagnole dont l’essentiel réside, précisément, dans son aptitude à n’être guère que ça : une caisse, qui va partout ?). Donc, quand bien même celui qu’on a envie d’appeler L’Ancient n’est plus produit, il est en réalité re-produit par tous ces mécaniciens et carrossiers qui le connaissent désormais comme s’ils l’avaient fait, pour la simple raisons que, au quotidien, eh ben, ils le font pour de bon. Nulle crainte, donc, le bon vieux Land est, et sera, toujours là.

Présent, l’ancien modèle le sera d’autant plus qu’il avait des dons que n’aura pas le nouveau venu. En particulier, on pouvait s’armer d’une clé de 13, et tout démonter pour le transformer en une sorte de brique d’une grande pureté visuelle, pare-brise rabattu sur le capot. Cette chose, qu’on pourrait prendre pour une Méhari devenue adulte sans avoir au passage perdu le sens de l’essentiel, est la chose du monde la plus simple, et peut-être la plus belle auto qui puisse être. On ne peut pas faire plus simple, plus évident. Ce n’est même pas une question de proportions, puisque l’engin est aussi beau quel que soit son empattement. Ce qui est superbe, ici, c’est l’idée. Alors, évidemment, ça n’a rien de très aérodynamique, mais vu les vitesses qu’on peut espérer atteindre pare-brise ainsi rabattu, franchement, l’aérodynamique, on s’en fout un peu non ? Ce qui est splendide, ce sont les expériences, les sensations qu’on peut atteindre dans un tel engin. Ce qui est époustouflant, c’est tout simplement, l’idée.

Avec le nouveau, ça ne sera pas possible. Passer de l’un à l’autre, c’est troquer le bon vieux chariot contre une diligence. On y gagne en efficacité, mais on y perd en pureté. Désormais, si on veut vraiment vivre ça dans un engin moderne, il faudra se tourner vers la Jeep Wrangler, qui autorise qu’on la déshabille presque totalement, pour rouler dans un air vraiment libre. Mais, si celle-ci a évidemment un look d’enfer, elle se situe tout de même aux antipodes des formes épurées du Land Rover. Qu’à cela ne tienne, les deux modèles présentés ci-dessus sont produits par Cool & Vintage, un garage spécialisé dans la restauration de modèles de ce genre. Il suffit de prendre contact avec eux, de passer commande, d’attendre un peu, et de se rendre à Lisbonne pour récupérer la machine de ses rêves. Tout le monde vous dira que ce n’est ni raisonnable, ni utilisable au quotidien. Mais alors, si c’est vrai, ils font comment, les motards ?

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est LR_DEF_110_20MY_Off-Road_100919_15-1024x683.jpg.

Se rendre utile

Admettons-le, il fallait bien que la marque propose quelque chose qui soit, selon les standards actuels, plus efficient. Parce que c’est finalement là l’essentiel dans le Defender : il veut se rendre utile. Et on n’est pas pleinement utile si les prestations qu’on propose correspondent à un monde qui n’est plus. On s’en voudrait, ici, de ne pas préciser qu’il est tout à fait possible que la disparition de ce monde soit tout à fait provisoire, et qu’un brusque retour de bâton puisse nous renvoyer dans un univers plus adapté à l’ancien Defender qu’à celui qui naît aujourd’hui. Mais tel qu’il se présente là, maintenant, le nouveau Land semble être, précisément, le véhicule qu’il faut, quoi qu’il arrive. Il permet, alors que la catastrophe n’a pas encore eu lieu, de travailler dans le monde tel qu’il existe. Et si jamais les choses devaient mal tourner, il pourrait permettre de rouler, longtemps, avec l’effondrement dans le dos. On serait rattrapé, tôt ou tard, mais on aurait au moins gagné un peu de temps et, surtout, parce que c’est là son domaine, de terrain.

Le talent du Defender, c’est de ne jamais se présenter comme un engin de guerre. Ainsi, même présenté dans un vert presque mat qui pourrait lui donner des allures un peu belliqueuses, on lui trouve en réalité, plutôt, un petit côté « Eaux et forêts », comme s’il se destinait plus aux patrouilles des gardes forestiers qu’à la préservation armée des frontières, ou au maintien de l’ordre. Pour autant, il n’affiche pas non plus cette sorte de gentillesse qui pourrait être confondue avec une forme de faiblesse. Au contraire, il apparaît, volontaire, puissant, capable de survoler le genre de problèmes dont il fait son affaire : les trous, les bosses, les cours d’eaux qu’aucun pont ne franchit, le sable, la neige, la boue, l’herbe, les fossés, la caillasse, les rochers, le froid, l’étuve des atmosphères moites de chaleur humide, la sécheresse des territoires où il n’est pas près de tomber la moindre goutte d’eau, le jour, la nuit. Surtout, il est celui qui mettra les roues là où rien d’autre, qu’on appelle aussi « automobile », n’avancera les pneus. Il nous emmènera là où, a priori, on ne peut pas aller. Du moins, pas en voiture. Que certains, du coup, aillent en bagnole là où ils pourraient aller par d’autres moyens, c’est effectivement un risque, qui n’est pas lié au Land Rover, mais à ceux qui, parfois, sont à son volant. Mais, de fait, il est parfois nécessaire d’aller, autrement qu’à pied, là où la route ne mène pas. Et on aurait sans doute du mal à compter, dans l’histoire récente, combien de vies humaines, et parfois non humaines, ont pu être sauvées grâce à l’arrivée, par on ne sait trop quel itinéraire, d’un de ces modèles conçus pour ne pas s’arrêter quand la route, elle, prend fin. A l’arrière d’un 110, on peut allonger un homme. S’il est blessé, le Defender le ramènera à bon port, là où on peut le soigner. Et ceux qui fuient l’univers urbain pour se retirer loin des turpitudes des hommes, sont conscients qu’en réalité, un tel éloignement devient plus vivable quand on sait que les kilomètres de piste non carrossée, et parfois même d’absence de piste, peuvent être franchis par ce genre d’engin, afin d’être acheminé, ravitaillé, soigné et, parfois, rapatrié.

Le Defender n’est pas agressif, mais il impressionne. Ainsi son regard, qui ne mime pas celui de son prédécesseur, partage-t-il quelque chose des anciens Discovery, mais aussi du bon vieux Pajero, à son époque de gloire. La façon dont la signature lumineuse scrute le monde un peu par en dessous des orbites a quelque chose d’intimidant, tout particulièrement quand l’engin est plongé dans l’eau, les phares rasant la surface comme un prédateur aux aguets. Dès qu’il est doté d’un capot noir (et il y en a de plusieurs sortes), le Land devient immédiatement un engin sérieux, qui en impose un peu. Sorti de l’eau, dans une version davantage unie, toit blanc, il semble plutôt haut perché, plus familier et amical, comme une cabane qu’on aurait grimpée sur des roues.

Cette forme d’accueil et de sympathie, le Land Rover Defender nouvellement réincarné la cultive aussi dans une aptitude devenue rare, au point qu’on la pensait disparue : l’engin est beau, y compris dans sa version de base, pourtant dotée de bonnes vieilles jantes, toutes simples, sobrement blanches. De base, il est tel qu’il doit être. Les versions supérieures n’apportent qu’un bonus à cette belle entrée de gamme, alors que chez la concurrence, les finitions inférieures manquent tout simplement du nécessaire. De mémoire, on n’avait pas vu ça depuis longtemps. L’Alfa 156 était belle même avec les petites jantes à enjoliveurs. La Clio IV est belle, même avec ses jantes en tôle bien dessinées. Au-delà, il faudrait remonter à la 306 Xsi pour trouver une bagnole qui avait de la gueule en enjoliveurs, mais en réalité, c’était presque du haut de gamme. Le Defender, lui aussi, sait être charmant dans sa définition la plus simple. A vrai dire, « simplicité » n’est peut-être pas le mot qui le décrit le plus fidèlement. Mieux vaudrait dire qu’il n’est, en finition basse, pas très démonstratif, qu’il ne se la ramène pas; pourtant, il pourrait faire son malin, car ses aptitudes sont, déjà, celles d’un géant.

Incassable

On le devine vite en observant les très nombreuses photos et vidéos déjà disponibles : l’engin est costaud, très costaud. Il est tellement fait pour l’usage qu’on a l’impression que le slogan créé pour la marque américaine d’outillages Craftsman, « Made to make », a été inventé pour lui. Rompu à l’usage, et indestructible, voila ce qu’il est. Le reste, ce ne sont que des détails. Tout est surdimensionné, sans forcément que ça se voit. Le treuil ? Il peut tracter 4 tonnes et demi, soit bien plus que la bagnole elle-même. Le toit ? Il supporte 160 kilos sur la route, et une fois à l’arrêt on peut monter à 300 kilos, ce qui permet de dormir sur son Defender sans s’inscrire à « Comme j’aime ». Les poignées de part et d’autre du tableau de bord, on peut s’y agripper pour faire se déplacer la voiture, autant dire que, du coup, on peut rouler porte ouverte, debout sur le marche-pieds (rétractable dans certaines versions), en s’accrochant au tableau de bord, les mains lâcheront avant lui. Les vidéos, déjà nombreuses (et on est un peu songeur, quand on voit le nombre de prises de vue qui ont été faites avant la révélation, alors que très peu d’entre elles ont fuité jusqu’à cette échéance), insistent sur l’usage, parfois rude, qu’on peut faire de ce très bel outil. On y grimpe, on s’y accroche, on y balance le matériel sale, humide, les fringues tout juste rincées, les chiens, on s’assoit sur la belle sellerie, encore trempé par la pluie ou les embruns, on rince les tapis de sol au jet d’eau, on sangle tout un tas de choses sur la galerie, on grimpe dessus pour y hisser le matériel le plus lourd, on en redescend par l’échelle télescopique, on pose les cartes sur le capot, on empêche qu’elles s’envolent en les coinçant avec des grosses pierres. Tout est prévu pour résister.

L’impression que ça donne, c’est qu’en 2003, les ingénieurs de chez Land Rover ont regardé ce mythique épisode de Top Gear durant lequel le Bon, la Bête et le Nabot tentèrent, sans y parvenir, de mettre fin aux jours d’un Toyota Hilux, et que depuis, ils se disent que c’est un Defender défiguré mais vivant qui devrait se trouver sur le plateau, pas un pick-up japonais. Le problème, c’est que peu à peu, le véhicule à tout faire de Land Rover s’était fait remplacer sur tous ses terrains de prédilection par des prétendants plus modernes, et sacrément solides eux aussi, souvent fabriqués en Asie. Depuis quelques jours, ces concurrents ont quelque chose à quoi parler. Et on se dit, en regardant ce new-Defender, qu’il pourrait à son tour jouer le rôle de gueule cassée sur le plateau de The Grand Tour.

Aux petits soins

Pour autant, le Land a ceci de particulier, par rapport à un Hilux, c’est que si on s’en fout un peu, de détruire ce dernier, on a quand même un peu de respect pour l’allure intemporelle du pionnier anglais. On sait qu’il peut prendre les coups, mais on aime aussi qu’il soit intact. Le nouveau venu respecte cette tradition, en proposant une ligne qui sait, comme toutes les éditions précédentes, proposer un visage tout à fait nouveau, tout en respectant pour le reste les lignes générales des modèles précédents. Ainsi, de profil, on retrouve cette silhouette assise sur ses roues postérieures, ce panneau arrière absolument vertical et très haut perché, ces lignes latérales horizontales, et sans fioritures. On a poussé le sens du détail jusqu’à sauver les petits vitrages à la jonction des panneaux latéraux et du toit, par lesquels on peut regarder le ciel défiler. Dans les versions courtes, ces sources de lumière ne seront pas de trop pour compenser le fait que les designers aient implanté, au beau milieu du vitrage arrière, donc en plein dans le champ de vision des passagers, un panneau couleur carrosserie qui modifie, certes, la lecture du profil, mais qui empêche aussi, quasiment, de voir à l’extérieur du Defender 90.

A l’arrière, se trouve une sorte de morceau de bravoure pour les designers. Le truc, c’est que le Defender originel présentait des feux arrière qui semblaient avoir été disséminés un peu au hasard, de la façon la plus simple et la plus économique. Ainsi, l’éclairage était totalement dispersé, les clignotants par-ci, les feux de position par-là. Et curieusement, cette répartition qui semblait presque involontaire est devenue iconique, au point qu’elle pourrait être une leçon de pur minimalisme : à eux seuls, sur les anciens modèles, les feux situés dans l’arrondi supérieur que forment les ailes signent l’identité du vieux Land. En une seule pièce, et la plus simple qui soit, qu’on doit certainement retrouver sur d’autres modèles tant elle semble générique, tout est dit. Ce n’est rien, et c’est tout, à la fois. Du génie, tout simplement. Et le problème du génie, c’est qu’on ne peut pas le réitérer. Alors, de façon assez honnête, parce qu’ils savent qu’une telle simplicité n’est plus possible aujourd’hui, les designers ont choisi de rendre hommage à cette dispersion des éléments. Ainsi, on retrouve de tous petites optiques posées au bord de l’angle avec les ailes arrières, alors que les autres éléments, un peu plus gros, sont alignés verticalement le long de l’ouverture du coffre. Ces optiques désormais carrées ont remplacé les feux ronds d’antan, et l’ensemble a énormément gagné en technicité, même si celle-ci se cache, en arrière plan de ces simples carrés rouges. Façon de dire qu’on rend hommage sans reproduire à l’identique, désormais ces optiques sont creusées en leur centre, alors qu’elles présentaient jadis un relief par rapport à la carrosserie. On reprend tout en répondant, et c’est, du point de vue du design, du très bon travail. Enfin, si on trouve cette face arrière trop exposée aux éléments, elle peut être protégée par une finition supplémentaire, comme à peu près toutes les autres parties de la voiture. Quand on dit que tout est prévu, on n’exagère pas.

Résultat, on se retrouve devant un mélange de solidité et de raffinement, de brutalité et de soin. Le soin, c’est ce qui semble avoir constitué une constante durant le développement de l’engin. Soin apporté à la conception des détails, attention portée au fait que tout devait être utilisable, sans réserve, et sans appréhension, volonté de proposer une forme inaltérable, qui a en réalité déjà survécu au passage du temps, tout en dessinant vraiment chaque élément, sans que rien ne soit ni maniéré, ni bâclé. On a beau retourner la chose dans tous les sens, on se dit que dans l’absolu, on tient là le meilleur de tous les mondes.

At last

Evidemment, on ne peut pas être dupe non plus. Si ce Defender se trouve si près de la zone de perfection, c’est évidemment parce qu’il n’est pas conçu pour être accessible à tous. Quand on additionne l’ensemble de ces éléments performants et résistants à la fois, évidemment, la facture grimpe vite. A vrai dire, sur ce genre de terrain, il n’y a guère que deux possibilités : ou bien on fait à l’économie, léger, habile, malin, et on produit le Jimny. Ou bien on y met les moyens, et on sort des Defender des lignes de montage. Le Jimny est redoutable de sympathie, impossible à suivre quand il se met à crapahuter, mais pas vraiment plaisant si on veut prendre l’autoroute à son bord, ou s’en servir de camp de base. Disons ça autrement : le Jimny est accessible, mais taillé pour l’excursion d’une journée, il nécessite de disposer d’une maison pour revenir y crécher chaque soir. Le Land, lui, est une option bien plus onéreuse, mais il permet de se passer de camp de base. Il est à lui-même son propre bivouac, son propre village-étape. A lui seul, il coûte un bras, mais envisagé de façon plus globale, et en déduisant de son budget tout ce dont on peut dès lors se passer, on peut se dire que s’il est très cher, la vie qui va avec est, peut-être, relativement économique.

Pour autant, on ne verra pas des marrées de Defender déferler sur les routes. A strictement parler, on devrait tous repérer où il s’en trouve un, pour aller vite fait le voler en cas de catastrophe généralisée. Lui seul pourra nous sortir du bourbier ambiant. Paradoxalement, si les dangers globaux que nous connaissons ont symboliquement quelque chose à voir avec l’existence de ces énormes engins très énergivores, ils seront, aussi, absolument nécessaires si un jour tout dégénère. Sur des routes non entretenues, il ne sera plus question de rouler vite, au ras du sol, mais d’être capable d’avancer quand bien même les bas-côtés se seront effondrés et des morceaux entiers de revêtement se seront peu à peu arrachés à la sous-couche de stabilisation. L’ironie veut que ces mêmes engins soient le signe des problèmes à venir, et la solution aux difficultés engendrées par ces problèmes.

Le Defender ne se présente dès lors pas comme l’engin de la fin du monde. Il apparaît, plutôt, comme l’automobile d’un monde à venir, attentif ce que sont les choses, et non à ce que, symboliquement et économiquement, elles représentent. Et contrairement à une bonne partie de ce qu’on peut lire ces derniers temps à propos des véhicules aptes à se déplacer, vraiment, partout, il est sans doute une des façons assez réalistes de penser la question automobiles dans le monde tel qu’il devient. Un engin qui préfère répondre présent, quand les autres sont en représentation.


Comme l’usage le veut quand un nouveau modèle apparaît, voici une bonne grosse galerie (Land Rover ne s’est pas moqué du monde, et a d’ores et déjà envoyé son Defender un peu partout sur la planète, et dans des positions pas très confortables, pour qu’on puisse l’admirer sous toutes ses coutures). Ensuite, la vidéo officielle de présentation, qui détaille bien ce dont cet outil est capable :

6 Comments

  1. alors oui mais non! Quelle déception! Si tu n’avais pas écrit d’article sur le Defender, je serais passé à côté avec une grande indifférence comme rarement lors d’une présentation d’un véhicule. Sans vouloir y réfléchir je sentais instinctivement l’agacement pour ne pas dire la colère.
    On dirait que chez Land Rover on s’est dit, on ne va pas tomber dans le piège du revival modernisé, le Defender mérite le meilleur du design actuel, et….., et finalement Land Rover est tombé dans le piège que le piège qu’il pensait éviter lui a tendu. Car bien évidemment il ne fallait pas faire une voiture banale aussi réussie soit elle, qu’est devenu ce Defender. Franchement…..est ce devenu un Land Range Rover plein de polissages? Un gros Discovery mâtiné de douceurs à la Rolls ? Volumiquement, il suffit d’effacer mentalement le faciès Land Rover, c’est un énorme Skoda Yeti….alors c’est beau mais ça ne va pas du tout! Imagine t’on malgré la débauche d’images magnifiques cet engin crapahuter sur le Yellowstone ? Personnellement je ne vois pas ça du tout du tout ! Il fera mieux de rester à salt Lake City !
    Le design de ce véhicule est malheureusement, comme la quasi totalité du design moderne, en « plastique », c’est à dire la sophistication de l’intégration des éléments du puzzle industriel et la simplification des formes , sous lignées de détails technos graphiques ou lumineux gracieux, prend le pas sur tout le reste, ce n’est pas à priori antinomique (d’un point de vue rationnel), mais totalement à l’opposé du point de vue imaginaire avec la « philosophie » baroudeuse. La massivité n’a rien à faire à l’affaire, c’est l’authenticité qui devait présider à la définition graphique du véhicule. Et pour que l’authenticité perdure, il n’y avait qu’une seule solution, continuer à manifester la composante essentiellement métallique des surfaces et des articulations (pas nécessairement au sens de charnières, mais de toutes les jointures de surfaces). Ou alors faire une chose futuriste….
    Ma foi, ta définition de l’engin des « eaux et forêts » me semble parfaite pour définir le Defender actuel et ancien, le design du véhicule devait impérativement garder quelque chose de l’idée de rusticité quand bien même il serait hyper moderne dans ses dessous. Non seulement on n’y est plus du tout, mais pas une seconde on n’imagine les Rangers patrouiller avec cet engin de luxe lisse et artificiel. C’est un machin pour que les « originaux » friqués aillent se la péter en photographiant les orignaux !
    Et finalement, moi je crois que Mercedes n’a pris que la seule voie possible avec son G, tout simplement parce qu’il n’y en a pas d’autre, assumant un côté vieillot qui est de toutes façons dans l’essence du franchisseur, et le classe G reste lui volontairement en métal et ainsi peut briller de tous ses reflets dans la nature (rêvée), quand le new Defender « absorbe » les reflets dans ses surfaces opaques et écrase l’imaginaire dans une massivité vide.
    Lequel est le plus artificiel des 2 (véhicules)? Celui qui copie un peu bêtement son ancêtre, ou celui qui fait du même pas neuf sans réfléchir ? Nous ne sommes pas d’accord!
    Déçu déçu déçu !!

  2. je résume 2 jours plus tard en attendant une réponse qui ne vient pas, avec cette formule ou idée force à laquelle je ne comprends pas que Land Rover ait omis de souscrire: le Defender est et doit rester un objet en fer. Sinon ce n’est plus un Defender et toute sa poésie s’enfuit.

    • Hehe, je ne pensais pas que la déception serait grande à ce point ! Je voulais répondre plus vite, mais je devais donner la priorité à des articles que j’avais promis d’achever pour une revue, et il fallait, aussi, que j’assure un peu tout le nécessaire autour de la rentrée.

      Je ne vais pas répondre, là, tout à fait à ton intervention, que je comprends. Il me semble tout de même que j’y répondais déjà un peu quand je mentionnais qu’en réalité, l’ancien « Land » ne disparaît pas, loin de là, à tel point qu’on peut voir en lui un des rares modèles potentiellement éternels.

      Mais j’ai eu, depuis, une autre intuition que je vais développer dans un tout prochain article, qui accompagnera l’une des vidéos de promotion de cet engin.

      Donc, encore un peu de patience, il y aura une vraie réponse ! Je planifie ça pour demain, même si j’ai dans l’idée que, demain, il va y avoir du nouveau chez DS… …

      De toute façon, there’s more to come !

    • En fait, il est probable que la comparaison avec les modèles d’avant puisse se faire à l’avantage du nouveau. Il lui manque le charme des aventures partagées. Et peut-être a t-il un physique moins tranchant, en effet. Mais je persiste dans l’espoir que ce soit une question de temps. Ce n’est pas une évidence : peut-être manquerons-nous d’images de cet engin en situations aventureuses, qu’il n’y aura pas de vidéo de ce Defender plongé dans la boue d’un Camel Trophy, ce qui rendra plus compliqué l’adhésion à cette nouveauté JLR. Mais peut-être, aussi, est-ce un modèle qui s’installe sur le long cours, et auquel peu à peu on se fera, l’acceptant tel qu’il est, et le trouvant finalement beau. Mais là où je suis d’accord, c’est que pour cela, il faudra oublier un peu l’ancien.

      Et après tout, que celui-ci ne soit finalement pas vraiment remplacé, c’est peut-être le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre.

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