Ecoute, fils

In 5008, Advertising, Dorian & Daniel, Peugeot
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A propos du spot TV Dépassez vos horizons
réalisé par Dorian & Daniel
pour la promotion du Peugeot 5008 restylé

C’est à n’y rien comprendre

Vous avez le sentiment de ne rien comprendre à la pub pour le 5008 ? Normal : elle est difficilement lisible au premier regard. D’abord parce que la version de 22 secondes est incompréhensible, ensuite parce que la version longue de 45 secondes réclame à être revue au moins une première fois avant de la saisir tout à fait. Du coup, ce spot très différent de celui que Peugeot a diffusé pour faire la promotion du 3008 produit une espèce de double effet Kiss Cool : D’abord on a l’impression de n’avoir strictement rien compris. Puis on a le sentiment de comprendre un truc, mais ce truc ressemble tellement à une de ces publicités Audi qui transpirent tellement le mépris de classe que l’odeur qui les accompagne prend à la gorge et devient un arrière goût aigre qui accompagne, ensuite, toute rencontre dans la vraie vie avec un modèle frappé des quatre anneaux, glissant dans le cerveau ce soupçon à propos de chaque propriétaire anneaudisé : adhère-t-il vraiment à cette idéologie ? Et vous savez ce que sont les préjugés, ils sont d’autant plus tenaces qu’ils sont confirmés par les faits : en réalité, si Audi communique de cette façon, c’est parce qu’une partie de sa clientèle, la plus importante puisque c’est celle qu’il faut conquérir, est en phase avec cette idée qu’on achète une bagnole, et sans doute pas mal d’autres choses, pour mépriser ceux qui ne l’ont pas.

Chez Peugeot, cède-t-on à cette tentation à laquelle la marque résistait jusque là plutôt bien ?

Un père parle à son fils, et lui tient des propos lourds comme un troupeau d’éléphants construits en béton armé, aux défenses de plomb, aux pieds magnétiques ventousés sur le sol d’une planète en métal massif. Le gamin doit se taper un discours édifiant sur la supériorité de ceux qui se construisent tellement seuls qu’à la fin ils se trouvent au sommet d’un monde dans lequel plus personne ne pense à regarder leur réussite. Et il lui apprend à s’en foutre, littéralement. Pas parce qu’il veut du mal aux gens. Non, c’est pire : parce que c’est bien. Le père ne parle pas de domination, d’exploitation. Il parle de valeurs. Et c’est plutôt marrant de faire ça par les temps qui courent, parce que sans le vouloir, Peugeot fournit un bel exemple de ce qu’est un processus de séparatisme, et ce n’est pas sans une certaine ironie qu’on voit le dispositif idéologique se refermer sur ceux-là mêmes qui affirment être un bouclier contre ce dont ils sont, en fait, l’incarnation : pendant tout le spot, on a le sentiment de voir un homme politique arrivé au sommet parler à son fils. Ce pourrait être un Dominique Strauss-Kahn à la veille de son arrestation, ou un Macron évidemment, en fin de second mandat. Théoriquement, c’est le moment où on se fait donneur de leçon. Vu comme il a devancé l’appel, inutile de dire qu’on n’a pas fini de l’entendre nous donner de belles leçons de vie.

Hey, Father, leave that kid alone !

Bien sûr, il ne faut pas lire le spot Peugeot comme un brûlot sarcastique renvoyant la droite à ses propres incohérences, mais on peut se permettre de pousser la lecture plus loin que le seuil auquel on est censé s’arrêter : si la publicité fonctionne, c’est parce que ce type de discours est très répertorié, parce qu’il a sa propre conclusion « Il faudra penser à toi avant tout », et que chacun sait quelle catégorie d’hommes et de femmes pense en ces termes : l’homme politique, dont le destin particulier est le seul qui semble légitimer une telle attitude. On ne voit pas d’homme d’affaires tenir ce propos frontalement. Dans le discours capitaliste, on ne cesse au contraire d’affirmer qu’on fait tout ça pour les autres bien sûr, qu’on se sacrifie personnellement pour « offrir » du travail à plus modeste que soi, et que c’est par pur altruisme qu’on fait travailler ses employés pour soi. Seul l’homme politique peut dire aux gens de voter pour lui, de l’aider à réaliser son destin personnel, et de brandir ensuite l’autorité qu’on leur a confiée comme si elle émanait de leur seule personne. Ajoutons à cela que le 5008 qu’on nous montre est très conforme à ceux qui sont utilisés par la classe politique française, que l’ambiance générale oscille entre celles de Baron noir, de Marseille ou de House of cards, qu’on flaire les coups fourrés en marbre, les arnaques en parquet laqué, l’escroquerie en courant politique organisé, tout ce que le citoyen lambda associe, à tort ou à raison, à la vie politique, telle qu’on l’imagine, et telle qu’elle est aussi en fait.

La grande efficacité du spot, c’est qu’on ne lui prête vraiment attention qu’à partir du moment où on entend les mots « Ecoute fils ». Parce qu’ils éveillent immédiatement un très mauvais pressentiment. Sommet d’une tour, bureau dominant le paysage, sous toi, la ville, si on demandait à l’ascenseur social de mener à cet étage, il refuserait : il faut n’avoir jamais mis les pieds dans une tour de bureaux pour croire qu’on puisse aller, d’une traite, du hall d’accueil jusqu’au sommet. Seul un ascenseur privé pourrait proposer un tel service, et il partirait du sous-sol, afin d’éviter de croiser les autres. Alors on sait que tous les mots qui peuvent suivre cette introduction « Ecoute fils » sont pure connerie idéologique. On se demande si c’est Thomas Wayne qui a embarqué le petit Bruce pour lui apprendre la vie depuis le sommet de Gotham City, ou si c’est Patrick Bateman dans la force de l’âge qui a fauché un gosse à une famille pauvre pour le prendre sous son aile noire et lui transmettre les rudiments de son Manuel du savoir-vivre et laisser mourir qu’il léguera au gosse, en guise d’héritage.

Et c’est le moment où la publicité met le turbo, car puisqu’on sait à l’avance qu’on va entendre un discours totalement inepte fait de « premiers de cordées », de « réussite » et de « mérite », on se demande spontanément quelle marque a pu oser parler d’elle-même en recourant à de tels schémas. Et dans un monde de médias qui ne suscite qu’indifférence et bâillements, parvenir à faire tendre l’oreille et tourner le regard vers l’écran est un exploit. La publicité pour le 5008 est donc, d’emblée, réussie, précisément parce qu’elle parvient à nous retourner contre elle, afin qu’on soit un peu plus attentifs à son propos.

Le montage du spot en version courte peut laisser libre-cours à une bonne grosse erreur d’interprétation : parce que l’homme qui est au volant semble écouter le propos qu’on entend en voix-off lorsqu’il conduit, on a l’impression que cette conversation a lieu non seulement en haut de la tour, mais aussi à l’arrière de son 5008. Bref, on pense spontanément qu’il est le chauffeur de Thomas Wayne, et qu’il plaint mentalement Bruce de devoir supporter une telle dose d’éducation merdique. Et comme généralement on ne fait pas les contre-sens à moitié, on se fait toute une histoire dans sa tête, dans laquelle le chauffeur, lui, n’a pas suivi les conseils de son patron, et il ne s’en porte pas plus mal : son plaisir à lui, c’est évidemment de conduire le 5008, et du coup, c’est en se mettant au service de ce sale type qu’il s’accomplit pleinement. Super interprétation, tout à fait logique, éclairante et valorisante pour le produit, et pourtant totalement fausse ! Jusque là en effet, nous nous trompons du tout au tout.

Transmission intégrale du message

Le montage long nous le fait comprendre : lechauffeur n’a pas bâti sa réussite en opposition à la voie indiquée par son père à ce pauvre enfant. Il est l’adulte qu’est devenu cet enfant. Et donc, sur la banquette arrière, on ne trouvera pas son père, ni lui-même enfant, ou alors ce récit deviendrait encore plus incompréhensible. Et s’il entend son père lui tenir ces mots « Ecoute, fils », c’est parce qu’il est en train de lui parler via le système bluetooth de la voiture, et qu’à cette occasion il se remémore les conseils qu’il entendait enfant et que, Dieu merci, il n’a pas suivis ! Les plans de coupe qui tronçonnent l’image de son trajet sont donc autant de contrepoints aux propos paternels, qui montrent à quel point il a bien fait de suivre sa propre idée.

Tout ça, c’est quasiment impossible de le lire lorsqu’on voit le spot pour la première fois, car la bonne lecture est permise par des détails invisibles au premier coup d’oeil : l’écran de la voiture qui indique que le conducteur est au téléphone avec son père, et l’imperceptible mouvement de tête de l’enfant, en fin de film, qui semble dire « tsss… ». Ce mouvement fait écho, mais on ne le comprend qu’après avoir vu plusieurs fois la publicité, à celui qu’a la conducteur dès le premier plan où il apparaît, et lorsque l’image revient sur lui après avoir saisi le visage de l’enfant exprimant sa propre tendance à suivre ses propres vues.

Or dans un univers publicitaire qui sait très bien surligner ce qu’on veut nous faire comprendre, si l’ambiguïté demeure, c’est qu’on veut la laisser s’installer. Donc, la publicité est faite pour être mal comprise en première lecture, laissant planer cette hypothèse pas tout à fait insensée : Peugeot deviendrait-il Audi ? Et elle est faite pour que, n’y croyant quand même pas tout à fait, on soit plus attentif lors des visionnages suivants. Ainsi, on est rassuré : la marque se démarque bien de son concurrent qui a mieux réussi qu’elle. Et c’est là le moteur intime de ce spot : l’idée s’est installée en nous que ce qui compte, ce n’est pas d’être installé tout seul sur son sommet, mais de laisser en soi la possibilité de faire ce qu’on pense devoir faire; ce qui ne revient pas tout à fait au même. La quête des sommets consiste avant tout à regarder anxieusement où en sont les autres, afin de les maintenir à distance. La sérénité, elle, permet de faire ce qu’on désire profondément, sans laisser quoi que ce soit nous faire dévier de notre route.

Ecoute, Stellantis

Généralement, une marque cherche à s’incarner dans les personnages principaux de ses publicités. Ca ne marche pas pour toutes les marques. Par exemple, les pubs Volkswagen cherchent plutôt à donner aux modèles un caractère qui fait manifestement défaut à ceux qui en sont les personnages principaux. Mais chez PSA, c’est quasiment une règle permanente. Mais on peut alors échafauder une autre hypothèse : au moment où la marque au lion se voit dominée par une entité paternelle plus grande qu’elle, on peut tenter d’identifier Stellantis à ce père installé dans un paradis fiscal, uniquement intéressé par son ascension économique et sa réussite, tandis que Peugeot serait ce fils trop conscient de ce qu’il a à faire, et à vivre, pour se laisser détourner de son propre horizon. Et si on voulait pousser l’interprétation plus loin encore, on pourrait considérer ce spot comme un message envoyé à la maison père et à ses partenaires : quoi qu’il en soit des liens désormais familiaux qui unissent la marque à ses cousines italiennes et américaines, elle continuera cependant à concevoir les voitures comme elle l’entend, à sa façon.

C’est Dorian & Daniel, réalisateurs talentueux qu’on avait déjà évoqués à propos d’un spot tourné pour Skoda qui mettait, lui aussi, en scène une relation entre un père et sa fille, qui se sont chargés de la réalisation de ce spot, et c’est aussi ce duo qui a dirigé l’autre film, à propos du 3008 et des lois de l’évolution. On aura deux trois mots à dire de celui-ci aussi, mais on va se garder ça pour plus tard. Parce que maintenant, fils, il est temps que tu te remettes au travail.

Tu sais, la vie est rude…

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