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In Advertising, Apocalypse, Art, BMW, C5 Aircross, Citroën, Constructeurs, Fin du monde, Série 7, Thèmes
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Oh no, it’s raining again

Peut-être, plus tard, retiendra-t-on de notre temps que nous n’aurons cessé de voir en les problèmes dont nous sommes les auteurs, des opportunités dont nous devions profiter. On peut sourire, ces temps ci, en regardant notre gouvernement essayer de surfer sur cette vague jaune qui a bel et bien pour intention de le balayer, essayant de faire bonne figure en déclarant à qui voudrait bien encore l’entendre qu’il faut profiter de cette occasion pour accélérer encore le mouvement, pousser plus loin les réformes, appuyer sur le champignon en débranchant pour de bon le limiteur de vitesse, déconnecter les freins, arracher le levier de frein à mains, afin de satisfaire un peuple qui, derrière ses réticences, dissimule en réalité une impatience de voir les processus contre lesquels il manifeste se réaliser à une échelle bien plus grande encore (un peu comme certains hommes sont persuadés que quand une femme dit « non », ça veut dire, en fait, « oui, et plus encore »). On peut sourire parce qu’il y a toujours quelque chose d’assez comique dans l’image de quelqu’un qui tente de faire ami-ami avec ce qui a pour fin de le détruire, parce que l’indécence et la mauvaise foi ont toujours quelque chose de risible. Mais en fait, ce déni est une stratégie que nous partageons dès que nous pensons que les dangers qui planent au-dessus de nos têtes peuvent être évités par cela même qui contribue à les provoquer.

Et même si on a comme plaisir coupable la contemplation bouche bée de jolis spots publicitaires mettant en scène des engins tout droit sortis du génie mécanique contemporain (ce n’est pas notre seul plaisir coupable, hein, mais c’est le seul dont on tirera ici quelques articles), même si on avoue qu’on aime bien ça, la propagande automobile, quand elle est bien faite, l’honnêteté impose quand même d’admettre que par moments, le marketing est tellement gonflé qu’on a l’impression que certaines répliques des Tontons flingueurs, qui évoquent ceux qui osent tout, ceux qui n’ont honte de rien, ont été écrites en ayant en tête les concepteurs de certains spots publicitaires dédiés à Sa Majesté Automobile. 

Atmosphère, atmosphère !

Disons-le simplement : il y a un lien entre l’automobile et l’état de notre planète. On peut essayer de ne pas le voir, on peut être désinvoltes, et n’avoir l’air de rien, la voiture pollue. C’est comme ça. Elle pollue là où elle roule, parce qu’elle consomme de l’oxygène et rejette tout un tas de choses qu’on n’a pas envie de voir traîner dans nos poumons (ce qui ne les empêche pas du tout d’y traîner, et d’y faire tout un tas de petits signes de la main adressés aux scanners qui ne manqueront pas de les repérer du coin de l’oeil lors d’une check-up médical de routine), parce qu’elle use ses pneus sur le goudron, et que les petits bouts de gomme qui se séparent de la roue par usure, vont bien quelque part. On adore voir ce phénomène se manifester de plus en plus dans les virages sur un grand prix de Formule 1, alors que le nombre de véhicules est plutôt modeste, et que les voitures tournent au maximum deux heures, mais on n’arrive pas du tout à se figurer le fait que le même phénomène a lieu, 24h/24, sur toutes les routes du monde, sous les roues de chaque voiture en mouvement. Elle pollue aussi là où elle ne roule pas, là où on extrait le pétrole dont on fera le carburant qu’elle consomme, là où on raffine ce carburant, là où on le transporte, là où on le stocke, là où on vient s’approvisionner. Elle pollue aussi là où on la construit, là où on puise les ressources minières qui serviront à la construire, là où on produit l’électricité qui permettra de produire l’aluminium qui la compose de plus en plus, là où on produit l’électricité qui anime les véhicules zéro émission, qui devraient en réalité « zéro émission là où ils roulent ». Elle pollue aussi là où elle meurt, déversant ses liquides toxiques dieu sait où, laissant ses métaux rouiller à l’air libre, les matières synthétiques dont elle est faite moisir à droite à gauche, s’envoler en poussière dans les vents qui balaient la terre. Elle pollue, enfin, là où elle part vivre une seconde vie quand, désignée comme trop polluante, on l’envoie en exil finir sa vie. Et généralement, cette terre d’exil s’appelle, en gros, le continent africain. 

On peut essayer de se faire plaisir en se disant qu’elle n’est pas la seule source de pollution, on peut tenter de se rassurer en décrétant que la voiture pollue moins aujourd’hui qu’avant, mais il faudrait plutôt dire, pour être précis, que chaque voiture produite actuellement pollue moins que celles qu’on produisait hier, mais en réalité, le nombre d’automobiles augmente sans cesse, et on roule de plus en plus, ce qui occasionne de multiples problèmes : environnementaux, mais aussi sociaux; parce qu’on le disait en préambule, nous vivons à l’ère de l’opportunisme, et comme on a pu le voir, le prétexte écologique peut parfaitement servir la cause d’une hausse du prix des carburants, et on sait aujourd’hui ce que ça provoque, politiquement (et si cet article s’arrêtait ici, il constituerait une boucle parfaite, du coup (mais il ne s’arrête pas ici)). 

No one is innocent

En fait, pour affirmer qu’il n’y a aucun rapport entre l’automobile et l’état de notre planète, il faut être d’une totale mauvaise foi. Mais c’est justement le rôle du marketing, que de générer des discours qui soient, frontalement, une aberration logique, tout en suscitant chez les amateurs un enthousiasme sans faille. Peut-être est-ce même, précisément, cette mauvaise foi qui est, tout autant que la vue de nos modèles préférés évoluer devant des caméras sachant sublimer leurs formes en mouvement, source de plaisir en nous. Nous sommes des mauvaises personnes, évidemment, comme tout le monde. Alors tant qu’à être de mauvaise foi, autant l’être tout à fait. 

On a quand même remarqué un phénomène étrange : il fait de plus en plus mauvais dans les publicités automobiles.  C’est bien simple, pour trouver une météo plus pourrie que dans un spot vantant les qualités d’une voiture, il faut se retrouver, sans doute par erreur d’aiguillage, dans un clip de Vitaa, qui est un peu au r’n’b français ce que Storm est aux X-men : une catastrophe climatique à elle toute seule. Bref, mieux vaut prendre un parapluie et des bottes pour se rendre dans le monde étrange du marketing automobile, parce qu’en fait, histoire d’être bien gonflés, les communicants ont dû se dire à peu près ceci : les gens ont des craintes liées au climat. Ils ont tous entendu parler de réchauffement climatique, de phénomènes météorologiques qui vont devenir plus instables, plus vigoureux, plus dangereux aussi. Ils font le lien avec les sources les plus visibles de pollution. Et celle qu’ils connaissent le mieux, c’est la voiture. Bon, on a un problème. Soit on fait des publicités qui font comme si de rien n’était, et on tourne un spot dans un monde insouciant dans un monde ensoleillé et souriant où tout le monde roule coude à la portière en tendant des Kinder Bueno à la marmaille blonde assise sur la banquette arrière, soit on renverse le problème, et on fait de la voiture le refuge contre les aléas climatiques. 

Evidemment, la manoeuvre est grossière. Mais c’est le monde de la publicité. On ne lésine pas sur les moyens rhétoriques. Soudain, la voiture dont tout le monde sait bien quelle place elle a dans la dégradation de nos conditions de vie, devient la solution au problème dont elle est l’origine. On a toujours du mal à croire qu’un pompier puisse être pyromane. Alors quand on voit les éléments se déchaîner contre des humains, et que là, sous notre nez, on voit bien qu’ils sauvent leur peau en fermant la portière et en relevant les vitres comme on brandit un bouclier pour éviter les coups, on ne peut plus croire que l’engin qui sert maintenant d’abri contre la tempête qui vient puisse être, aussi, ce par quoi la tempête vient. 

Deux exemples, mais on pourrait en donner plein d’autres. L’un presque sympa, l’autre nettement plus cynique. 

Deluvium tremens

On a déjà évoqué les publicités Citroën, qui parviennent, quand elles se frottent à ce qu’on appelle les « questions sociétales », à proposer quelque chose d’intéressant, une sorte de monde post genré, où les personnes ne sont plus assignées à des rôles fixes, et ce à tel point qu’on n’a même plus besoin de mettre en scène ce nouveau mode de vie. Dans les publicités Citroën, ce passage à un autre mode de vie est en quelque sorte entériné. On n’est pas dans la démonstration militante, comme on peut l’observer chez Volvo. Mais au moment de lancer pour de bon le C5 Aircross sur le marché, Citroën ne peut plus se contenter de montrer que c’est un engin sympa qui emmène des bandes de copains et copines dénués de toute forme d’intention sexuelle vers des activités outdoor fun et valorisantes. Avouons-le : on se sent quand même mieux quand les autres ne vont pas trop bien. Ce n’est pas qu’on soit cruel. C’est juste qu’on se rend mieux compte de son bien être quand, à l’extérieur, il y a du danger. Dans La Guerre des mondes de Spielberg, le Chrysler Voyager est vraiment comme une capsule de survie lancée au milieu des plus grands dangers, dans laquelle la petite famille si typiquement américaine va pouvoir assurer sa survie, seule contre le reste du monde. Vous vous souvenez comment, dans cette scène spectaculaire, Spielberg réussit, dans un plan séquence saisissant, au cours duquel la caméra tourne autour du monospace, passe par une fenêtre, ressort par une autre, passant alternativement à l’intérieur et à l’extérieur de cet abri de fortune pour tirer le plus fort possible sur les fils de la tension entre dedans, et dehors, entre sécurité, et péril. Citroën fait la même chose, en mettant en scène cette dialectique de façon bien plus apaisée, et sans la virtuosité un peu stressante du plan séquence impossible. 

Dehors, le vent se lève, les nuages s’accumulent dans la vallée, sombres, striés d’éclairs. Pour un peu, si Coldplay ne chantait pas à tue-tête, on entendrait le tonnerre gronder. Bon, en fait, Coldplay devait être trop cher, c’est le groupe Yeast, complètement  inconnu au bataillon, qui fait de son mieux pour faire passer son Black Nights pour un nouveau titre du groupe de Chris Martin. Géographiquement, on ne saurait trop dire où on est. C’est un paysage mondialisé, ça pourrait être n’importe où. Les granges du premier plan semblent tellement tout droit sorties du film Twister qu’on se dit qu’on pourrait voir des planches taillées en pointe, arrachées à une clôture, traverser l’écran pour venir se planter, façon lancer de couteau, dans les façades, ou les gens. Rien d’aussi horrible n’arrive, évidemment. La publicité peut susciter l’inquiétude, elle ne peut pas générer l’angoisse. Le SUV Citroën, dans sa belle livrée blanc nacré déboule de nulle part et emprunte une petite route au milieu des bourrasques. On est tellement nulle part que des virevoltants tout droit sortis d’un western traversent la chaussée, s’envolant vers l’horizon sur le bitume impeccable. Plan de coupe sur une femme qui, depuis la fenêtre de sa maison regarde la menace climatique s’approcher. Elle protège son enfant dans ses bras, pour éviter qu’il subisse le vent qui s’engouffre par la fenêtre et fait s’envoler les rideaux. Il fait un temps à ne pas mettre une roue dehors, mais le C5 s’en fout, il avance, protecteur, tandis que tout voltige autour d’elle. Le travelling l’accompagne dans la tourmente, sur le goudron tout d’abord, puis en vol plané en plongée, en vue surplombante. Comme un aigle fond sur sa proie, la caméra plonge vers le toit vitré et par la magie des effets numériques, traverse le verre fumé pour se glisser dans l’habitacle. Là, comme le veut la formule, tout que luxe, calme et volupté. A l’extérieur, on voit le monde partir en vrille, tranquillement installé dans les fauteuils moelleux, mais pas trop, spécifiquement conçus pour faire honneur à la réputation de Citroën en matière de confort. Dehors, les moutons dans leur pré, eux, ne font pas les malins. Nouveau déplacement de la caméra, qui passe à travers la vitre latérale arrière, pour cadrer une passagère qui observe tout ça avec gravité, mais sans angoisse. Sur la même banquette, deux hommes sont assis là, eux aussi, en translation sereine au beau milieu de l’ouragan. Faisons une pause dans les observations météorologiques : si c’était une publicité pour n’importe quelle autre marque, les deux hommes seraient à la fenêtre, et la femme serait au milieu. On sait tous quelle est la place qui est aussi une punition, à l’arrière d’une voiture. Mais chez Citroën, on aime manier une espèce d’ambiguïté discrète : les deux hommes sont côte à côte, et la femme est à la fenêtre. Donc, pas de privilège-portière pour les hommes, et toutes les hypothèses sont possibles quant à leurs relations. Qui est avec qui ? On ne le saura pas. 

Ce qu’on sait en revanche, c’est que le conducteur a pris une décision : on quitte la route. C’est un SUV bon sang, on ne va pas éternellement rouler sur le goudron ! Une rotation de la mollette du grip control plus tard, le C5 saute sur un chemin carrossable, il soulève un petit nuage de poussière, mais tout à l’air tellement négligeable, au milieu du chaos atmosphérique qui règne tout autour d’eux. La nature est décidément hostile : le chemin est plein de trous et de bosses. Le chariot néglige ces reliefs, saute de dos d’âne en flaques avec dédain, imperturbablement hissé sur ses amortisseurs à butées hydrauliques. A l’intérieur, rien ne sort les passagers de leur totale ataraxie. Même le mug semble ignorer totalement le déchaînement des éléments à l’extérieur. Du coup, la caméra en profite pour faire un nouveau mouvement impossible à travers le pare-brise, histoire de se mettre à l’abri. Et on découvre le club des cinq, au complet, qui glissent paisiblement dans leur bulle de survie à travers un monde en voie de destruction massive. Eux sont comme les témoins de Jéhovah au coeur de la fin du monde. On ne sait trop s’ils avaient reçu un carton d’invitation pour le carré VIP ou s’ils sont les organisateurs de l’Apocalypse en permanence. Ce qui est sûr, c’est que leur voiture est un hâvre de paix : le passager qui a accepté la place centrale à l’arrière dort carrément et loupe la fin des temps. A l’extérieur, ça se gâte. Un vieil homme s’accroche à deux mains à la porte de sa grange, et on devine qu’il n’en a plus pour très longtemps. Vous connaissez la chanson qui dit que même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or ? Et bien c’est tout à fait ce qu’on se dit quand on réalise que dans son malheur, quelque chose vient apporter le réconfort à cet homme, puisqu’en regardant la déferlante destructrice rayer le paysage de la carte devant lui, ses yeux croisent la trajectoire d’une C5 roulant paisiblement dans le capharnaüm. Il pourra mourir avec cette belle image en tête. Il ne le voit pas parce que les vitres sont fumées, mais à l’intérieur, le conducteur sourit. Les conducteurs de C5 Aircross sont-ils donc des monstres ? Oh, ni plus ni moins que les autres conducteurs de SUV. Il est juste confiant. Il sait qu’il ne pourra pas sauver les pauvres gens, à l’extérieur, mais que lui et sa bande vont s’en sortir, et qu’au pire, ils pourront repeupler la planète une fois qu’on aura rebooté le monde. 

Les plans qui suivent font monter d’un cran la pression autour de la voiture, et le contraste entre la béatitude régnant à l’intérieur, et le chaos qui a saisi l’univers à l’extérieur se fait plus grand. Décidément, qu’il fait bon contempler la fin du monde depuis l’habitacle cool d’un SUV Citroën. On le devine, évidemment, cette sérénité interdit totalement de se poser une question simple : et si, en fait, la fin du monde était due au fait que, comme plein de gens, on n’a pas l’impression, en roulant en SUV, de faire subir à la planète des outrages excessifs. Bref, et si la fin du monde était provoquée par ces SUV mêmes qui prétendent pouvoir nous en protéger ? Un dernier plan sur le C5 perçant le brouillard, et on sent pleinement alors; combien il doit faire bon vivre dans un tel véhicule quand tout part à vau-l’eau dehors. C’est alors qu’on comprend mieux : le problème climatique n’est pas un péril global. Ca ne concerne que ceux qui vivent trop bas. Le C5 est la solution, car il permet de grimper plus haut que le plafond nuageux, et de dépasser le problème en le surplombant sans souffrir de ses conséquences. Les cinq fantastiques se sont garés au dessus des nuages, et vont pouvoir goûter un loisir que seuls peuvent atteindre ceux qui demeurent, imperturbablement, sereins dans l’adversité. 

Alors, quand le slogan tombe du ciel pour s’afficher comme posé sur les nuages en contrebas, on comprend mieux le message : « La vraie force vient de l’intérieur ». Tout s’explique : il ne s’agit pas de développement personnel, mais d’éloge de l’habitacle. On n’a pas passé une minute pleine à aller et venir entre extérieur chaotique et intérieur serein pour pouvoir comprendre autre chose que ceci : la vraie force vient de l’intérieur du C5 Aircross. Les autres, à l’extérieur, sont trop faibles pour s’élever. Pour peu qu’on ait lu Nietzsche, on verrait là un clin d’oeil aux considérations montagnardes de Zarathoustra. 

Après nous, le déluge

Nous voici immunisés, on peut maintenant prendre une plus grosse ration d’absence de honte.  On va même, nettement, dépasser les doses prescrites. 

Vous saviez sans doute que le logo de BMW est une hélice stylisée. Et vous savez aussi sans doute pourquoi : la marque munichoise a été, tout d’abord, un fabricant de moteurs d’avions. C’est important pour mieux goûter ce qui va suivre. 

Mais avant de regarder, je précise : inutile de régler votre écran ou de passer en 16/9ème. Il n’y a pas de déformation de l’image. Vous allez comprendre : 

« Oh grand mère, que vous avez de grandes dents !

_ C’est pour mieux te manger mon enfant !! »

Cette publicité pourrait s’achever dans un rire sardonique aux dimensions planétaires. Pour résumer, je pourrais dire « rebelote ». Tous les ingrédients du spot Citroën sont resservis dans la publicité BMW présentant la Série 7 restylée, quoi que ce mot semble un peu inadaptée pour désigner l’outrage que les chirurgiens esthétiques ont fait subir au vaisseau amiral bavarois. Mêmes données du problèmes, mais présentées dans un autre ordre, car ici, la première chose qui fait peur, c’est cette calandre élégante comme un duck-face, cette bouche bourrée d’un mélange de chrome et de collagène. Et la seconde chose qui fait peur, c’est le visage du conducteur, dont on se demande s’il est l’oeuvre de la nature un jour de gueule de bois, ou d’un logiciel 3D tournant sur Windows 2. Tout laisse à penser, tout d’abord, que tout va bien se passer. On voit mal quelle entrave pourrait rompre le charme d’un tel luxe et d’un tel raffinement. Je pense que les scénaristes ont une réponse à cette question : la calandre. Alors ils ont glissé dans le récit un péril encore plus grand. Un avis de tempête. 

Dommage car le conducteur voulait unifier le présent et le passé de BMW en garant sa Série 7 entre les hangars d’un aérodrome pour faire une petite virée à bord de son avion personnel. Car, oui, les propriétaires de Série 7 sont, aussi, du genre à posséder un avion. Et un brevet de pilote. Disons le autrement : les proprios de Série 7 sont des mecs qui assurent. Un peu l’équivalent de la femme BforBank à propos de laquelle on demandait « Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi cette femme avec son bateau ? » Ben… Un bateau peut-être ? On est, avec BMW, dans le même genre d’univers : on nous montre de façon un peu appuyée que le conducteur de cette BMW est le genre de gars qui fait envie. Mais, comme disent les superstitieux et tous ceux qui pensent pouvoir aller au paradis en se réjouissant du malheur des autres, « la roue tourne ». Et ici, ça se passe de façon un peu improbable, puisque les dieux vont décider de faire dégringoler sur cet aérodrome une sorte de cataclysme climatique qui l’empêchera, totalement, de décoller et prendre l’air. Qu’à cela ne tienne, le pilote ne va renoncer ni au déplacement, ni au plaisir de survoler les choses : il rejoint sa voiture, prend le temps de la paramétrer, Et prend la route. 

Du moins le suppose-t-on, parce que la route, on ne va pas la voir. Il pleut des cordes, la brume qui se densifie par moments en brouillard, empêche de voir quoi que ce soit. Le pilote lance la masse paquebotesque de la Série 7 sur la bonne voie, et la voiture va se charger du reste. Tout est sous contrôle et le parallélisme tissé entre l’intérieur de la BMW et le cockpit de l’avion fonctionne parfaitement, à tel point qu’on comprend peu à peu que la voiture va, peu à peu, décoller et prendre l’air, traversant, majestueuse et souveraine, les turbulences. Alors, selon un scénario semblable à celui qu’on a brodé chez Citroën, mais avec une esbroufe visuelle poussée encore beaucoup plus loin, la berline de luxe va littéralement dépasser le désordre climatique pour se permettre, en toute simplicité, de survoler le monde, et de le prendre de haut. Juste avant d’émerger de la perturbation, un plan sur la carrosserie fera le lien formel entre l’automobile et l’aviation en se focalisant sur l’antenne aileron de requin, sur le toit, fendant la brume, puis émergeant progressivement de la nébulosité pour atteindre une atmosphère plus pure. 

A l’avant, les naseaux surdimensionnés de ce storm-trooper révèlent la raison de leur taille : faite pour évoluer à des altitudes où l’air est raréfié, il est nécessaire d’ouvrir grand les narines afin d’ingurgiter davantage de ce gaz devenu précieux, afin de gaver d’oxygène cette mécanique qui a la lourde tâche de faire se déplacer un tel mastodonte. Ici encore, dans le monde publicitaire, la technique a toujours le dernier mot sur la nature. C’est elle qui impose sa loi, sans négociation et sans partage. Si une ressource vient à baisser, alors il faut la consommer davantage encore, histoire de marquer son territoire et de ne pas s’avouer vaincu. C’est, mine de rien, l’essence même de ce qu’est une berline allemande. 

Des horizons sans point de fuite

On pourrait, déjà, multiplier les articles dans ce genre, en montrant combien la voiture est désormais l’objet qui, tout en étant source de multiples désordres, prétend précisément constituer un abri contre les dangers qu’elle génère, qu’ils soient climatiques ou sociaux. On montrera un jour comment Volkswagen joue avec le feu social, prenant à la légère le rôle de marqueur social qu’est la voiture. On montrera comment, à l’opposé des torrents de pluie qui se déversent sur les publicités de certaines marques, c’est aussi le désert qui envahit les paysages traversés, dans la communication officielle, par les BMW. Dans les publicités comme dans la réalité, l’automobile s’occupe seule de l’aménagement du territoire. Ce faisant, nous savons bien qu’elle le fait pour son compte personnel, plus que dans l’intérêt de ses occupants, qui ne sont finalement bien qu’en elle, et se sentent mal à l’aise dès qu’ils la quittent. 

Evidemment, ce discours apparaît d’autant plus dans les publicités que celles-ci tentent de vanter les qualités écologiques des modèles électriques. Faisons dès lors ce pronostic : un jour, qu’on espère lointain, mais qui viendra, un spot mettra en scène non plus des territoires délavés par des tempêtes incessantes, non plus des paysages désertifiés par la sécheresse, mais des pays entiers irradiés par des fuites radioactives provenant d’une centrale maintenue en fonction au-delà de la date prescrite pour assurer la production électrique de voitures toujours plus gourmandes en énergie. Une marque plus haut de gamme que la moyenne sortira alors le premier modèle permettant de se protéger de la radioactivité, renouvelant ce pacte étrangement mafieux consistant à confier sa sécurité à ce qui, précisément, contribue à la remettre en question. 

Nous oublions facilement que les ressources naturelles sont limitées. Nous oublions tout autant que les ressources du discours, elles, sont sans fin. 

 

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