Dans une époque vouée au spectacle et au dépassement, la modestie a peu de chance de faire recette, puisque c’est une attitude de looser. Faire preuve de retenue, éviter de se mettre en avant, c’est forcément demeurer à sa place, manquer d’ambition, ne pas être comme on dit, « un entrepreneur ».
Pourtant, les êtres humains qui font profil bas sont plutôt nombreux dans ce monde ; c’est leur discrétion qui cache la réalité de leur nombre. Si on ne les voit pas, ce n’est pas parce qu’ils se cachent particulièrement, c’est plutôt qu’ils ne sont pas suffisamment spectaculaires pour que notre attention capte leur présence. Demeurant under the radar, leur existence paisible est vécue à l’écart des regards, car elle est menée par ceux des êtres humains qui existent pour eux-mêmes et avec les autres avant tout, et pas pour le plaisir qu’il peut y avoir, parfois, à être le centre de toutes les attentions.

Fab’ 4
Ces gens modestes ont généralement des objets qui correspondent à cette façon de traverser la vie sans se faire remarquer. Fonctionnels, efficaces, fondés sur une conception assez sobre de leurs fonctions, de leurs formes, ils ne cherchent pas à séduire ni à produire de wow-effect, mais plutôt à ne repousser personne, à ne susciter aucun mouvement d’inquiétude ou d’exclusion, un peu à la façon dont, dans certaines émissions consacrées à la vente immobilière, on banalise une maison pour que n’importe qui puisse s’y projeter sans que rien, dans le style ou le détail, puisse heurter une sensibilité ou un goût.
Et mine de rien, la banalité aussi, est un art.
La Skoda Fabia est un peu à l’automobile ce que le home-staging est à l’immobilier : l’art de ne déplaire à personne. Une furtivité stylistique consistant à repérer l’exact point médian des goût du moment pour se tenir, pile poil, au centre de gravité des tendances, là où le marché est le plus stable. C’est là que se trouve une clientèle qui, un peu effrayée par les excès des propositions les plus radicales, trouve ça un peu ridicule de projeter son propre style dans celui de sa voiture. Sans chercher à acheter exprès le modèle le plus laid du marché, parce qu’on ne veut pas faire de sa bagnole un porte-étendard de son refus idéologique des codes esthétiques du moment, on peut simplement vouloir que sa voiture soit juste une voiture, et pas un faire-valoir ou un signe extérieur de quoi que ce soit.
Cette façon discrète de mener sa vie, cette manière de ne rien imposer aux autres y compris sa propre présence dans l’espace public, c’est ce qu’on peut appeler une vertu. Sans en faire des tonnes, c’est une façon de prendre en compte l’existence des autres sans leur faire remarquer qu’on y fait attention. Vous avez vu ? Je fais en sorte que vous ne remarquiez même pas ma présence. Ah ben non, forcément, vous n’avez rien vu…

Common decency
La Skoda Fabia, c’est exactement ça. A son volant, personne ne remarquera votre présence. Et le plus fort, c’est que vous ne l’avez même pas achetée pour ça. Parce que vous êtes discret au point de ne même pas mettre votre discrétion en évidence. Rouler en Logan, c’est un peu dire au monde « Agenouillez-vous devant ma modestie, bande de dégénérés consuméristes ! ». Alors que la Fabia a la modestie modeste. Elle n’envoie strictement aucun message. Elle est ce qu’elle est, imperturbablement. Cette vertu, en fait, a un nom. C’est George Orwell qui l’avait mise en évidence dans ses articles sur les mineurs, sur la Guerre d’Espagne ou sur les clochards à Paris. Simone Weil, au cours de la même Guerre contre le franquisme et dans sa lutte partagée avec les mineurs français, avait repéré le même phénomène : dans les milieux populaires, où on ne théorise pas du tout les attitudes morales. Dans le travail commun, la nécessité de vivre ensemble et de transpirer avec les autres au boulot et dans les luttes sociales communes, apparaît naturellement une solidarité commune dont on ne peut pas se vanter personnellement car elle constitue un tissu commun, dont personne ne peut prétendre être l’auteur. C’est juste « comme ça », et on n’en fait pas toute une histoire. George Orwell appelle ça common decency. Et Bruce Bégout, dans le petit livre qu’il consacre à cette notion, traduit cette expression ainsi : la Décence commune. Bernard Stiegler parlerait, lui, de vergogne.
Si le concept de décence commune était une voiture, ce serait la Skoda Fabia.
En découvrant la nouvelle génération de ce modèle il y a quelques jours, la première chose qui venait à l’esprit c’était « RAS. Circulez, y a rien à voir ». Pourtant, elle n’est pas la copie de celle qui l’a précédée. Mais elle prend un grand soin, tout de même, à n’apporter strictement rien de nouveau, à n’exciter aucune curiosité, à ne susciter strictement aucun intérêt. Comme si elle n’en valait pas la peine. La Fabia est un peu une leçon de morale lancée à tous ceux qui se passionnent pour les voitures : les gars, ce ne sont que des moyens de déplacement ! On va pas faire exprès de les dessiner le plus laidement possible, mais on ne va quand même pas, non plus, les présenter comme s’ils émanaient d’un génie de l’art contemporain. La Fabia ne nous raconte pas d’histoires : rien d’extraordinaire ne va nous arriver à son volant, nous n’allons pas devenir plus aventureux, ni plus célèbres, ni plus beaux en l’achetant. Nous n’aurons pas des amis plus valorisants à montrer comme des options supplémentaires, posés sur les places passager. Cette voiture ne va strictement rien changer à votre vie. D’ailleurs, elle-même ne change pas vraiment. Sans être identique, elle n’est pas vraiment différente. Si la Fabia a perdu lors de sa troisième génération ses proportions un peu « chapeau haut-de-forme » pour adopter une silhouette plus équilibrée, la quatrième génération capitalise sur ce format assez commun, et soigne juste les détails pour ne pas être strictement identique à la précédente. Ainsi, la calandre s’affirme un tout petit peu, mais le talent de Skoda, c’est de ne même pas faire de ce détail un élément identitaire : on pourrait croire que c’est la calandre d’une Kia, alors que la forme de celle-ci se rapproche de plus en plus du double haricot qui fut, à une époque où il n’était pas devenu une paire de naseaux un peu grotesque, le signe de reconnaissance des BMW. La calandre de la Skoda est donc, en fait, la modeste copie d’une copie.

Simplette
Et plus on l’observe, plus on tourne autour d’elle, plus on se rend compte que tous les aspects de la voiture sont en fait très travaillés, mais avec semble-t-il une seule chose en tête : que, surtout, on ne s’en aperçoive pas ! Ainsi, les portes semblent banales, alors qu’elles présentent à l’avant un travail complexe sur les volumes, des croisements de lignes de tension qui n’ont pas grand chose à envier aux effets spectaculaires qu’on peut observer aujourd’hui chez PSA. Sauf qu’ici la Fabia n’assure aucun spectacle. Même phénomène avec les optiques, qui sont en réalité travaillées et soignées, mais dans une forme générale qui est parfaitement banale. Comme si la voiture ne voulait pas trop montrer le soin qu’on a mis à la dessiner. Et c’est ce qui est finalement séduisant : comme on ne s’attend à rien, et que le premier regard confirme ce préjugé, ensuite, on passe son temps à n’avoir que de bonnes surprises. Les optiques arrière ? Elles sont carrément sculptées. Les optiques avant ? Avec leur double module d’éclairage, elles adoptent un regard nettement plus affûté tout en conservant une forme d’une très grande simplicité. La ligne de carre qui court tout le long du profil ? Elle se sculpte de plus en plus profondément, faisant saillir les ailes à l’aplomb des passages de roue, traçant une ligne structurante faite de pleins et de déliés, comme si on ressentait l’appui de la main du dessinateur sur le feutre. En une ligne, on donne à la Fabia toute sa force graphique, sans en faire trop, sans qu’il y ait grand chose à en dire finalement, parce que tout ça est d’une très grande simplicité.
Ouvrir la porte provoque le même effet : aucun concept de design novateur ne sera jamais attaché à cette voiture. Ici, vous ne verrez pas un designer affirmer qu’il a révolutionné l’architecture intérieure des bagnoles du millénaire à venir : tout est très exactement là où on le cherchera. Tout est extrêmement classique, mais au deuxième coup d’oeil, on se rend compte que tout a, aussi, l’air d’être rudement bien foutu. Dieu se cacherait-il dans les détails ? Les aérateurs ronds à l’extrémité de la planche de bord, on a déjà vu ça mille fois. Mais le fait qu’ils soient traversés en leur centre d’une ligne qui se prolonge à travers la totalité de la planche de bord, ça c’est un élément simple, très graphique lui aussi, qui donne à cet intérieur une signature discrète, mais nette, sans fioriture.
Dans le même ordre d’idées, vous ne trouverez pas dans la Skoda de combiné d’instruments 3D qui place en superposition les informations, mettant au premier plan ce qui doit attirer l’attention du conducteur. En revanche, le combiné plus classique de la Fabia (qui est tout de même un dalle numérique paramétrable, comme on sait tout de même un peu en faire chez VAG) est un bloc qui est intégré lui-même, comme s’il disposait de sa propre coque protectrice, à l’intérieur d’un matériau qui vient le recouvrir à la façon d’une capuche, laissant entrevoir sur les côtés son matériaux véritable, sur lequel se trouve sérigraphié le nom du modèle. Ce genre de détail est ici typique de ce que propose globalement la Fabia. Rien de tape-à-l’œil, mais le sens de l’attention, là où c’est payant de le faire Ainsi, cette sérigraphie et ce jeu de recouvrement de textures se trouve là où se porte le regard quand on monte dans la voiture. Dès lors, chaque fois qu’on prendre la Fabia ce sera un peu comme si un bon pote au boulot, que personne n’avait encore remarqué dans l’open-space, vous lançait un clin d’œil, en mode « on se comprend ». La Fabia n’a pas de pouvoir particulier de séduction. En revanche, elle attire la sympathie. Et au jour le jour, on sait tous que la séduction peut être pénible quand elle s’impose du petit déjeuner jusqu’à l’heure de se coucher, alors que la sympathie garantit les relations longue durée. Bref, sans provoquer aucun coup de foudre, on se dit qu’en fait, on s’embarquerait bien pour une vie simple en compagnie de cette voiture.
Tout, dans cet intérieur, est très propre, au sens où les volumes, le dessin, sont immédiatement lisibles. On ne regarde pas les photos en se demandant sous quel angle le plan de la planche de bord et celui de la console centrale peuvent bien se raccorder, on ne passe pas des heures à conjecturer quel volume présente telle partie du tableau de bord, ni à quoi peut bien servir telle série d’interrupteurs semblant tout droit sortis de Star Trek, on n’est pas surexcité par l’absence de toute forme de bouton dans la totalité de l’habitacle. Non, ici, on a l’impression inverse : on pourrait ouvrir la porte, s’asseoir, mettre le contact, démarrer et prendre la route, là, tout de suite. Aucune période d’acclimatation, aucune phase de découverte, rien qui réclame qu’on lui porte attention ou qu’on s’arrête quelques minutes pour l’observer avant de démarrer.

Et pourtant, on pourrait. Les marketeux de chez Skoda aiment bien dire que cette Fabia vous propose tout ce dont vous avez besoin… et un peu plus encore. Ainsi, la planche de bord ferait presque bailler d’ennui, sauf qu’à mieux la regarder on se rend compte qu’elle bénéficie d’une finition textile qui court sous l’écran tactile central, et lui sert de support, et que dans une forme simple, cette matière change tout, elle apporte de la chaleur là où pourrait se trouver un pastique froid, elle apporte de la douceur sous les doigts qui prennent appui pour que la main puisse glisser sur l’écran, bref, elle améliore l’ordinaire. A l’arrière, les passagers seront sans doute étonnés de bénéficier d’une attention rare à ce niveau de gamme : des aérateurs les rafraichiront l’été, et les chaufferont l’hiver. C’est con hein, la simplicité. On appelle ça, aussi l’évidence. Ce n’est rien, mais ils y ont pensé et, surtout, dans un objectif de prix assez contraignant, ils ont placé cet élément qui est plus coûteux qu’il n’en a l’air.
On voudrait un truc que les autres voitures n’ont pas, exception faite des Rolls Royce ? Ouvrez la porte, là, dans l’épaisseur de l’ouvrant, se cache un réceptacle pour un parapluie qui ne mouillera plus jamais la sellerie (par ailleurs vraiment très réussie dans ses teintes brunes) de vos sièges. Encore un détail archétypique, car il est absolument invisible aux yeux des autres, et ne permettra jamais à aucun propriétaire de Skoda de frimer une seule seconde au feu rouge, coude négligemment posé sur la portière en mode « Hey… tu les as vus mes réceptacles à parapluie ?… Et ça tombe bien : quelque chose nous dit que le propriétaire d’une Skoda n’est pas, au quotidien, un frimeur.
En regardant cette voiture on se rend compte que, finalement, c’est pas si mal que ça, l’ennui. Ca aiguise les sens. Alors qu’on peut sortir d’une 208 un peu blasé, comme on le serait après avoir passé plusieurs heures dans l’univers technoïde d’un jeu vidéo sur-designé, l’austérité apparente de la Fabia rend hyper-sensible au moindre de détail. Au point qu’on ne s’inquiète pas vraiment de la technique; On regarde la fiche annonçant les caractéristiques mécaniques de la nouvelle venue, on voit que sous le capot, ça peut grimper jusqu’à 150 cv, et on se dit que, ma foi, ça devrait bien suffire. Et de fait, on n’en attend pas vraiment davantage, parce qu’il n’y a aucune raison pour que la conduite d’une Fabia soit plus spectaculaire que la voiture elle-même. Se faire remarquer sur l’autoroute en passant direct de la voie d’accélération à la file de gauche, en plaçant toute son aptitude à être à ce point sûr de soi sur la pédale de droite, et en voulant à tout prix s’imposer aux autres, ce n’est pas vraiment le genre de celle ou celui qui achètera une Skoda. Ceux-ci n’ont rien à prouver, et ne comptent pas exister avant tout dans le regard des autres. Alors, 150 cv dans ce qui reste une petite voiture, ça devrait être suffisant.
Et finalement, cette voiture nous dit peut-être ce que nous avons besoin d’entendre aujourd’hui à propos du design, des performances, de la puissance et du progrès technique : ça va aller comme ça.
Les détails particuliers comme la 3e branche du volant « invisible » donne du caractère à cette Fabia. Il y a quelques années, on lisait souvent l’expression « beauté intérieure » !
Ton analyse sonne étrangement juste pour moi qui vient d’acquérir un monument de banalité, une Seat Toledo 4 ! 😀 Mais, un peu schizophrène comme toi, elle est en rare finition FRline…
Je trouve qu’il y a un charme spécifique aux voitures vraiment très banales, qui sont tout de suite magnifiées par un simple jeu de jantes de bon diamètre. Il y a souvent une évidence dans ce genre de package qui fait tout de suite envie, sans pour autant soulever d’enthousiasme. Du coup, j’ai envie de dire « très bon choix ! »
La planche de bord a l’air d’être partagée avec l’Ibiza de l’article précédent, mais elle paraît plus aboutie dans la Skoda. La marque tchèque n’est définitivement plus l’option low-cost du groupe VW.