Se faire son cinéma

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Dans la gamme d’un constructeur, certains modèles existent autant pour qu’on parle d’eux que pour qu’ils soient vendus, et on se doute bien que ce ne sont pas exactement les plus raisonnables. Dans les années 80, un tel rôle était facile à tenir : on pouvait diffuser des publicités aux mises en scène particulièrement déraisonnables, dans lesquelles on vantait les vertus dynamiques de ces modèles étendards. Depuis, une forme de moralisation du discours automobile interdit de proposer une telle promotion de l’usage délirant de la voiture, pour des raisons sécuritaires qu’on comprend bien. 

Le fantasme des départements communication, ce sont les films commandés par Peugeot pour la 205. Sur l’ensemble de la carrière de cet incroyable succès, on saisit comment il s’agissait d’imposer l’idée d’une voiture dynamique, au point de prendre, parfois, des libertés avec le « réel », quand on montrait le train arrière déraper à l’accélération, comme s’il s’agissait d’une propulsion (La Garce, 1986). Les spots emblématiques sont, évidemment, les deux films tournés pour les modèles GTI, 1,6 tout d’abord, avec une conclusion parachutée, puis 1,9, lançant un bombardier à la poursuite de la bombinette. 

Mais aujourd’hui, par souci de respect de la loi, mais aussi de respectabilité, un constructeur ne peut plus faire un tel éloge de la conduite rapide, du moins à la télévision. Le mieux, c’est alors de ne s’adresser qu’au public avide de tels courts métrages, directement sur le net. Si une marque, par le passé, a su mettre en oeuvre un tel projet, c’est bien BMW, qui avec la série de courts métrages The Hire, proposait à partir de 2001 de véritables récits, réalisés par de véritables réalisateurs, avec un véritable acteur, Clive Owen, tout à fait crédible dans le rôle du « chauffeur » (ce sera, pour lui, un rôle fondateur dans sa carrière), et de véritables guests, Madonna demeurant, et de très loin, la plus mémorable. 

C’est à cet exercice que tente de se livrer aujourd’hui Volkswagen pour faire la promotion de sa Golf GTi. La bonne nouvelle, c’est que ça permet à Tomer Sisley de retrouver, un peu, de boulot, et de toucher à nouveau à un volant. Pour lui, c’est aussi une mauvaise nouvelle, car en s’enfermant ainsi dans ce rôle caricatural, ce sont les portes de sa carrière future qu’il ferme. Ce n’est pas qu’il n’ait rien fait après Largo Winch, c’est juste qu’on ne s’est pas aperçu qu’il a fait autre chose, et que cette publicité Volkswagen le ramène à ce rôle de friqué cool et efficace qui colle à une peau qui ne peut pas être éternellement la sienne. 

Mais Tomer Sisley n’est pas vraiment le problème principal de ce spot à rallonge. Il n’est que le symptôme d’un problème plus profond, qui se loge peut-être au sein même de ce qu’est devenue cette marque. 

Finalement, en quoi consiste cette mise en scène ? En un leurre qui s’avoue lui-même. Un faux semblant, ou un jeu d’enfants, en mode « on dirait que » : on est sur un tournage, et soudain, il y a confusion entre la fiction et la réalité, puis on revient au « réel ». Donc, ce n’est pas qu’à un moment on ne fasse plus semblant. C’est plutôt qu’à un moment on fait encore plus semblant que d’habitude. Et de nos jours, c’est un peu ça, une GTi : une bagnole qui pourrait faire des choses, mais qui ne les fait pas, tout simplement parce que les conditions normales et civilisées de la circulation ne le permettent pas. Mais plus encore, Volkswagen est en soi un leurre. Ce n’est pas une médisance, la marque assume ce positionnement dans sa propre communication. Souvenez-vous du spot dans lequel un père de famille est poussé par sa femme à aller demander au comptoir du loueur à être surclassé, et que l’employé, sans même daigner le regarder, se contente de retourner la clé pour dévoiler le logo VW, c’est exactement ceci que dit la publicité : peu importe ce qu’on vous vend, l’important, c’est que vous ayez le sentiment, grâce au logo, d’avoir plus que ce que vous achetez, d’avoir fait une bonne affaire. Regardez de nouveau cette publicité : le vendeur se fout ouvertement de la gueule du client. Vouloir de la marque pour la marque, c’est admettre que ce qu’on veut avant tout, c’est se raconter des histoires. 

Ca tombe bien, la publicité, elle adore en raconter des histoires. 

Demander à Tomer Sisley d’incarner le héros du spot est significatif : la relation entre l’acteur et le personnage de Largo Winch est si fusionnelle qu’en réalité, à part la multinationale et le compte en banque, rien ne distingue corporellement les deux personnages (car, en épousant ainsi la forme du héros de BD, Tomer Sisley est devenu, lui aussi, un pur personnage, ce qui rend possible de le faire intervenir en tant que lui-même dans un court métrage dans lequel il joue, en fait, à être lui incarnant Largo Winch (parce qu’en réalité, personne ne veut vraiment assassiner Tomer Sisley)). On admet donc qu’on est dans la fiction. Mais c’est une fiction trouble, puisqu’elle flirte au plus près avec ce qu’on appelle d’habitude le « réel ». 

Mais la voiture, elle aussi, joue un rôle, puisqu’elle sort absolument intacte de la virée « sportive » dans laquelle elle est filmée. Comme dans les films où le placement produit l’emporte sur la crédibilité, on n’a pas osé rayer la carrosserie du produit, parce qu’il faut que le packshot final soit parfait. On est loin, ici, du réalisme des courts-métrages que BMW produisait au début des années 2000. Un X5 s’y faisait quasiment détruire au gros calibre, son intérieur cuir ravagé par un véritable bain de sang, et de façon générale, les bagnoles mises en scène morflaient gravement au cours du récit, et tant pis pour leur allure au final, parce que ce qui compte dans une BMW, c’est l’effectivité, l’usage qu’on en a , ce qu’on en fait, et pas un potentiel hypothétique qu’il faudrait conserver indéfiniment, identique à lui-même. Une bagnole, ça s’utilise, ça s’use, ça s’épuise, ça porte sur soi les signes de la maltraitance que ça a subi. C’est périssable, et ça l’est d’autant plus que ça souffre de sa propre force. Plus de force, plus de souffrance et de cicatrices. Sauf à ne jamais mettre véritablement en oeuvre cette puissance.

Une Golf n’entre pas dans cette catégorie d’objets qu’on va user jusqu’à la corde. Une Golf, ça se doit d’être intact. Ce n’est pas que ce soit particulièrement précieux, ni même fragile. Non, c’est juste qu’il faut penser à la revente. Si le crédit est la quantité de confiance qu’on peut placer dans la parole de celui qui s’exprime, rouler dans la Golf telle que Volkswagen la présente, c’est perdre en crédibilité, car c’est afficher une puissance dont on n’use jamais. Ca ne veut pas dire qu’aucun propriétaire ne tape dans le moteur de sa Golf GTi. Non, c’est simplement que l’image de la Golf n’est pas construite sur l’idée qu’on doive en exploiter le potentiel, quand bien même, en fait, on le pourrait. Au contraire, Volkswagen nous dit qu’utiliser pleinement la GTi Performance, ça relève de la fiction. Rouler en Golf, c’est se raconter des histoires, c’est faire croire qu’on va faire quelque chose qu’en fait on ne fera jamais. 

En réalité, il y a là un symptôme qui témoigne d’un processus beaucoup plus vaste dans le monde automobile : la Golf GTi, ici, rejoint le monde des breaks qu’on ne charge jamais, des 4×4 qui ne quittent jamais le bitume, des camping-cars qui ne campent jamais et, donc, des sportives qui ne font jamais de sport. 

Ce qui est plus rare, c’est que la communication entérine ce processus, et le mette en scène de façon pour ainsi dire officielle. Pour autant, il ne faudrait pas y voir une forme d’honnêteté. La marque allemande des voitures populaires n’est pas très forte en honnêteté. Ça fait un moment qu’elle a fait d’une certaine forme de cynisme (la plus mauvaise forme, en fait) un véritable fond de commerce. 

Finalement, c’est dès lors dans les slogans de la marque qu’on trouvera la plus grosse part de mensonge inavoué. Ici, affirmer que « ce n’est pas du cinéma », alors qu’on montre précisément le contraire, c’est saisir le spectateur et potentiel client par le côté le plus faiblard de sa personne, puisque tout montre au contraire que c’en est. On sait alors comment il faut entendre Volkswagen, lorsque la marque nous assure que « c’est bon de pouvoir compter sur une valeur sûre ».

 

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