The Mask

In Design, Matthias Hossann, Peugeot, Peugeot Inception
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Salon virtuel

On pourrait voir là un paradoxe : Peugeot présente aux USA un nouveau concept qu’il n’a pas montré à Paris, alors même que la marque a officiellement renoncé, et ce pour longtemps, à réinvestir le nouveau monde. En réalité, ce n’est pas si aberrant que ça : c’est tout simplement ainsi que les choses vont désormais. Et si le CES se déroule à Las Vegas, ce Consumer Electronic Show vise un public bien plus large que celui qui foule de ses pieds les moquettes et sols lustrés de ses halls d’exposition : par nature hyperconnecté, ce spectacle est la vitrine idéale pour toute marque qui veut se faire connaître des early adopters du monde entier, clientèle numérique diluée dans le cyberspace qui a depuis longtemps perdu l’habitude ancestrale de se déplacer pour participer à un événement. En d’autres termes, et à la grande différence du salon de l’auto de Paris, ou de ce qu’il en reste, le CES se fixe Las Vegas comme camp de base, mais son audience est mondialisée, jeune, friquée, hyper-technophile.

Bref, peu importe le port d’attache national d’une marque : elle a sa place au CES pour peu qu’elle ait quelque chose de technoïde à y proposer. Le concept Inception correspond exactement à ce cahier des charges. Et en le découvrant on comprend pourquoi c’est bien là, et pas à Paris, qu’il fallait le dévoiler.

Mais si on veut mieux saisir en quoi cette proposition est parlante, on va se permettre de faire un petit détour par une publicité et un objet qui peuvent sembler n’avoir aucun rapport avec Inception en particulier et l’automobile en général ; alors qu’en fait, si :

On pourrait se demander pourquoi Samsung insiste à ce point sur la pliabilité de ses nouveaux modèles. A strictement parler, c’est surtout une source potentielle de fragilité, l’origine d’un surcoût plus que conséquent, et ça n’apporte pas grand chose au problème du volume que l’objet occupe dans les poches : plié, ce qu’il perd en surface, il le gagne en épaisseur, ruinant la ligne de tout pantalon un peu correctement ajusté.

Non, l’intérêt de la série des Samsung surnommés Flip est ailleurs : ils inaugurent une nouvelle gestuelle. Ou plutôt, ils réintroduisent des postures qu’on avait un peu oubliées depuis que les téléphones à clapet ont disparu de la circulation. Il suffit de regarder un épisode des X-Files pour s’en souvenir : jadis, on décrochait d’un claquement de clapet, à la façon dont on décalottait d’une main son Zipo pour s’en allumer une et, d’un geste du poignet, le refermer.

L’Art d’accommoder les gestes

Le geste, c’est la forme de l’objet étendue au-delà de ses limites physiques. Parce que tous les outils sont faits pour être connectés à l’homme, et parce que cette connexion se fait très majoritaire via les mains, la façon dont l’homme tient l’objet, dont il se tient quand il le tient, participe à la forme projetée dans l’espace de l’objet lui-même. Le problème, c’est que ça fait un moment que les générations successives de smartphones se ressemblent beaucoup, ce qui pose un sérieux problème : une des motivations importantes dans l’acquisition d’un nouveau modèle, c’est que ça se sache aux alentours qu’on vient de dépenser un pognon de dingue pour avoir le nec plus ultra de la téléphonie mobile. Mais où est l’intérêt, dès lors, si personne ne s’en rend compte ? Vous pouvez toujours dégainer votre Iphone 42 dans le métro, personne ne s’en rendra compte. L’objet est semblable à n’importe quel autre smartphone, et seuls quelques initiés seront capables de le reconnaître. Samsung a trouvé une réponse flippée à cette problématique flippante : le déploiement de ses nouveaux modèles permet à chacun de ses acquéreurs, d’un simple geste, de signifier à tout son entourage qu’il a, lui, ce que les autres n’ont pas. Et il faut reconnaître qu’il y a là un plaisir qu’on ne boude pas, et qui mérite qu’on claque quelques centaines d’euros, et même un peu plus encore, pour se le procurer, sous les regards envieux des autres êtres humains.

Le monde automobile connait, à peu près, le même problème.

Alors même que l’objet subit, contraint et forcé, une mutation profonde, les constructeurs semblent s’ingénier à faire comme si tout était encore comme avant. Pour la plupart, les modèles électriques ressemblent étonnamment à des modèles thermiques. Ils disposent généralement d’un compartiment, à l’avant, qui contient les dispositifs techniques, d’un habitacle au poste de pilotage duquel on va trouver les éléments classiques de celui-ci, un volant, des pédales, un levier ou quelque chose qui fait office de levier, des commodos, des écrans. Les formes, évidemment, sont chiadées, les textures sont travaillées dans un savant compromis d’épate et de rentabilité économique. Mais formellement, les voitures électriques rentrent clairement dans le rang : chez BMW, les audaces des premiers temps, incarnées entre autres par l’étonnante i3, ont laissé place à une gamme plus uniforme, dans laquelle les modèles thermiques et électriques partagent les mêmes codes esthétiques. Même la Prius devient désirable et renonce à dégoûter physiquement la clientèle de l’acheter. Et chez Renault la Zoe, tout à fait identifiable dans la gamme, va laisser place à une résurrection de la 5, modèle pourtant historiquement dessiné pour accueillir sous son capot des bons vieux moteurs à explosion.

Etonnamment, la voiture électrique n’a amené avec elle aucune gestuelle spécifique qui permettrait de la distinguer des modèles ancestraux dépendant du marché mondial du pétrole. Quand on croise une 208, il faut vraiment être attentif pour savoir s’il s’agit d’une version thermique, ou d’une e208. Au point qu’au moment de la charger, c’est la même trappe que celle qui permet de faire le plein à la pompe qu’on ouvre, et c’est le même geste qui permet de brancher la Combo CCS à la voiture, que celui consistant à introduire le pistolet à carburant dans l’orifice du réservoir. De loin, on pourrait s’y tromper.

Mine de rien, Inception contribue à ce quelque chose qui manque à la transformation de l’automobile telle que nous la connaissions en une proposition nouvelle. Ce concept est abondamment comparé à cette autre proposition, devenue le mètre-étalon de tout concept chez Peugeot, l’E-Legend, et nombreux sont ceux qui regrettent l’évidence esthétique de celle-ci, exprimant ainsi le malaise qu’ils éprouvent devant la nouvelle venue. En réalité, ces deux concepts constituent quasiment des antithèses : Là où E-Legend regardait dans le rétroviseur, Inception projette au contraire le regard loin en avant, et c’est le sens qu’il faut voir dans son pare-brise lancé vers la proue de l’auto, tendu vers l’horizon à l’infini, et au-delà. E-Legend avait la beauté des conclusions. Inception a l’étrangeté des introductions. Il est naturel dès lors d’avoir besoin d’un temps d’adaptation. Gilles Vidal nous avait prévenu, en son temps : « Si l’on ne choque pas la moitié du comité exécutif lors de la présentation d’un futur modèle, c’est que l’on n’est pas allé assez loin. Pour être bien frais et au top quatre ans plus tard, au moment de sa sortie, il faut tenter des paris forts ». Ce qui est vrai d’un nouveau modèle l’est encore plus d’un concept : cet exercice doit comporter des aspects qui heurtent ses spectateurs, qui les brossent dans le sens inverse de l’implantation capillaire, il doit hérisser le public en préparant celui-ci à des formes et des propositions auxquelles il n’est pas encore prêt.

L’hyperquadrature du cercle

C’est pour cette raison que, dans l’ensemble de ce que propose Inception, on aimerait retenir, avant tout, son poste de pilotage. Et il semble que dans la communication de Peugeot, ce soit aussi ce qu’on souhaite mettre en avant. Ce point est important parce que les déclarations concordent : ce que nous avons sous les yeux, c’est ce à quoi ressemblera le tableau de bord Peugeot en 2025. Autant dire demain. Et le fait marquant ici, est moins ce qu’on aura sous les yeux, que ce qu’on aura entre les mains : exit ce que nous appelions jusque là « volant », bienvenue à l’hypersquare. Bon, quelque chose me dit que dans les auto-écoles on continuera à parler de volant mais, il faut l’avouer, l’objet change assez radicalement de forme et il faut s’attendre dès lors à ce qu’un certain nombre de gestes, auxquels nous sommes très fortement accoutumés, soient révisés dans quelques années pour tous les conducteurs de Peugeot.

Parce qu’au-delà du volant lui-même, ce qu’on peut deviner, c’est que ce sont les périphériques de cet antique cerceau qui vont être concernés par cette nouvelle configuration. Et honnêtement, ça ne serait pas un luxe car, même quand ils sont très travaillés, ces appendices hérissant la colonne de direction constituent une solution ergonomique parfois pas si ergonomique que ça, dont on voit bien qu’elle doit plus aux exigences techniques qu’au bon goût esthétique. Ici, même si leur usage demeure encore un peu mystérieux, on devine que les cerclages vont donner accès à des commandes mieux intégrées, qui tomberont assez naturellement sous les pouces, et au bout des doigts. Ce faisant, Peugeot vole un peu à Citroën ce qui devrait être sa prérogative : repenser profondément l’intérieur d’une voiture. Parce que l’hypersquare est un peu la solution contemporaine à un problème que les chevrons avaient essayé de résoudre avec les satellites de la Visa, ou les excroissances latérales de la BX. Mais il faut admettre que depuis la présentation de l’i-cockpit, Peugeot excelle dans la création de tableaux de bord à la structure innovante, allant jusqu’à imposer des postures nouvelles, le volant plus bas, le regard plus haut, en offrant jusqu’à aujourd’hui une alternative au head-up display privilégié par bon nombre d’autres marques. Ira-t-on jusqu’à faire migrer les commandes de clignotant sur la jante de ce rectangle ? On demande à voir.

Ce qui est sûr, c’est que c’est la première fois qu’on annonce en série un volant qui abandonne la forme circulaire pour des raisons qui sont autant ergonomiques qu’esthétiques. On avait déjà eu un volant carré sur l’Austin Allegro, mais à la façon du volant Tesla, il s’agissait d’une pure facétie stylistique, une façon de se démarquer sur le marché. Ici, la forme est beaucoup plus pensée, plus profonde, et on devine à l’avance ce qu’elle va impliquer gestuellement. Les quelques images disponibles montrent que les cerclages permettront de commander la boite, le niveau de récupération d’énergie au freinage, le volume, du moins sur ce concept. La référence aux manettes des jeux vidéo est intéressante : de fait, le moins qu’on puisse dire, c’est que les gamers maîtrisent les déplacements de leur avatar, et ce de façon parfois particulièrement virtuose. Parier sur l’aptitude à une telle adaptation, et sur la possibilité d’être dans une relation physique nouvelle avec l’automobile qu’on conduit est en soit intéressant. Et en l’occurrence, même si bien sûr on peut regretter que l’automobile aille dans cette direction, la proposition de Peugeot tient compte, ici, de son devenir électrique : le contact avec la voiture est ici moins mécanique qu’il n’avait pu l’être jadis. Mais rien n’empêche de penser que, petit à petit, ce lien qui semble déjà appartenir au passé puisse réapparaître, sous la forme de simulation. Ici aussi, les commandes de jeux vidéo montrent ce qu’il est possible d’envisager, et il est évident que Peugeot, comme d’autres marques sans doute, soit en train de s’en inspirer.

Dernier petit élément concernant cet Hypersquare : il n’est pas si nouveau que ça puisque le prototype 9×8 avait déjà présenté une version de compétition de cette nouvelle interface entre le conducteur et la voiture. On mesure d’ailleurs à quel point ce modèle dévoué à la pure performance est, aussi, un laboratoire stylistique qui indique, dans ses détails, les traits marquants des modèles civils de demain.

Métaphysique des tubes

On ne développera pas grand chose sur le cerclage qui tient lieu de combiné d’instruments. On comprend l’idée d’affichage à 360°, s’adressant aussi bien à l’intérieur du véhicule qu’à l’extérieur. Mais pourquoi cette forme plutôt qu’une lame constituée de deux écrans, recto/verso ? Peut-être parce que son caractère panoramique permet au dispositif d’être, aussi, orienté vers le passager. Exit, du coup, l’écran central, ce qui permet d’alléger considérablement l’architecture de la console et, par la même occasion, de tout le mobilier de bord. Du coup, on voit apparaître des unités d’affichage en face du passager, loin, très loin en avant. Au-delà de la fonction de ce bloc circulaire qui culmine tout en haut de la planche de bord, on oscille entre deux impressions. La première, c’est de se retrouver avec une sorte de moule à manqué au sommet du tableau de bord, installé autour d’un espace central dont on cerne mal la raison d’être. La seconde, totalement opposée, relèverait plutôt de l’impression quasiment mystique d’être en présence d’un symbole religieux. Le cercle, c’est la forme ultime, la figure géométrique parfaite. C’est l’unité absolue. Et en termes de design il se passe ces temps ci quelque chose autour de la mise en scène de cette forme, devenue en trois dimensions un cylindre creux, ou un tube. On pense par exemple à Manifesto, la forme qu’il faut considérer comme prophétesse du futur design de Lancia, percée en son centre d’un cylindre semblant creuser le volumen à l’infini, un peu comme le font les stries lumineuses à l’arrière d’Inception. Mystère des profondeurs ? Ou poinçonneur des Lilas ? Il y a là une forme de prise de risque, car cet affichage rompt, en fait, avec l’impression de cockpit tel qu’on peut l’éprouver dans les Peugeot actuelles. L’absence de visière, la rondeur de cet affichage inaugure une toute autre ambiance, qui pourrait ne pas correspondre à ce que cherche quelqu’un qui roule actuellement en 3008 par exemple.



Mais sur le fond, l’association de cet affichage et de l’hypersquare permet d’approfondir le principe d’une disposition des informations sur des plans superposés. Le i-cockpit 3D distribuait déjà les données en couches, jouant sur la profondeur un peu comme Tim Burton le faisait dans son Alice in Wonderland, organisant le champ visuel comme un millefeuille. Ici, le premier niveau d’information se trouve dès le plan du volant ; ensuite, la visualisation s’organise jusqu’à culminer à la distance et à l’altitude d’un affichage tête haute puisqu’en définitive le halo-cluster est un head-up display de luxe. Même logique, nouvelles formes. A vrai dire, intellectuellement, c’est ce qu’on aime observer même si la forme en elle-même laisse encore un peu sceptique.

Glam

L’impression générale que donne cette planche de bord, c’est qu’on s’éloigne d’une relation à l’automobile passant par une tablette tactile centrale. Ce serait un bouleversement assez profond de la logique mise en œuvre ces dernières années, et on est curieux de voir si cette réflexion va trouver des débouchés en série. Il y aurait là quelque chose d’intéressant, qui imposerait tout de même à la clientèle d’entrer dans une nouvelle logique. Mais tôt ou tard on se lassera des écrans, de leur luminosité un peu intrusive, de leur vulgarité – puisqu’ils sont partout-, des surfaces planes qu’ils imposent, de leur vacuité lorsqu’ils sont éteints et qu’ils sont réduits à n’être plus qu’une surface recouverte de poussière et de traces de doigts gras.

Le reste de l’habitacle propose des idées dont on doute que la plupart puissent se retrouver dans une 208 ou une 308. Les sièges invitent à se déplacer allongé plutôt qu’assis dans une voiture, ce qui ne devrait pas arriver de sitôt. Les éclairages bleutés, ceinturant les sièges et les contre portes arrière donnent l’impression de regarder un véhicule doté d’un arceau, tel qu’on pourrait en trouver un dans des modèles destinés à la compétition, ce qui donne une espèce de force à cet intérieur, qui contraste avec les aspects très métalliques des tissus et revêtements de sol, conférant à l’ensemble une allure un peu glam qui va bien avec le caractère électrique de l’engin. Il y a là des contrastes intéressants pour un concept, des tentatives qui ne vont pas dans le sens des a priori de la clientèle, des propositions qu’on préfèrera sans doute voir sur un podium dans un salon, que dans le modèle qu’on achètera effectivement.

De Profundis

Reste l’extérieur. Et c’est sans doute la dimension de la voiture qui exige un peu de temps pour qu’on s’y fasse. Une première remarque, sur ce point : On a tendance à évaluer le physique d’une Peugeot à partir du préjugé selon lequel une Peugeot doive proposer une forme évidente qui n’exigerait aucune période d’adaptation. En réalité, historiquement, ce n’est pas toujours vrai. Si certes une 505 présente effectivement une sorte d’évidence immédiate, un équilibre formel extrêmement simple qui permet de l’adopter esthétiquement au premier coup d’œil, cette caractéristique est une exception plutôt qu’une règle dans le règne des Peugeot. En réalité, notre regard s’est habitué à des propositions qui, à l’origine, n’étaient pas si évidentes que ça. Ainsi, les feux triangulaires des breaks 304 étaient, au moment de leur sortie, un peu curieux. L’arrière aux pans tronqués de la berline 504 l’était aussi. Plus tard, la 607 proposa un postérieur tout sauf banal avec le relief inversé de sa malle arrière. Très souvent, Peugeot réussit en fait à faire adopter à notre regard des propositions qui, au départ, réclament une accoutumance. Ici, c’est sans doute le panneau arrière qui demande tout de même un petit temps de digestion. Mais plus on regarde la poupe d’Inception, plus on associe son physique singulier à des références qui peuvent aider à l’appréhender. Le jeu des références est toujours subjectif, et c’est sans doute un exercice qui divise plus qu’il ne rapproche. Mais on aime bien imaginer que les designers aient eu en tête, ne serait-ce qu’un instant, les réminiscences qui font leur apparition dans nos méninges quand on regarde leur création. Par exemple, la lunette arrière qui se tend vers l’extrémité de la voiture fait, comme sur la 408, penser à la Rover SD1, et ce d’autant plus qu’elle se prolonge sous le déflecteur intégrant les répétiteurs des feux de position, et descend assez bas vers le panneau qui constitue la façade postérieure. Dans le même temps, les équilibres un peu étonnants de la poupe d’Inception font un peu penser, aussi, à la façon dont les masses sont structurées par les éclairages sur le concept Precept de la marque Polestar. Le concept Peugeot sculpte et compose ses éléments de langage de façon plus complexe, reproduisant dans l’épaisseur simulée de son bandeau lumineux la profondeur des informations réparties en 3D sur son tableau de bord. Il y a là un thème, constant, comme si l’automobile cherchait à creuser ses propres surfaces pour proposer au regard une complexité dissimulée derrières les surfaces a priori simples.

Déployant de vastes pans de carrosserie organisés comme des feuilles de métal délimitant les volumes simples de l’auto, le corps de l’automobile semble bel et bien carrossé de façon assez classique puisque, de profil, Inception semble développer une allure traditionnelle, comme si elle n’était pas animée par l’électricité, avec un compartiment moteur nettement délimité par les ailes en avant de l’habitacle. Cette impression doit pourtant dialoguer avec le fait que le cockpit est prolongé en vers l’avant par la bulle translucide qui pousse le pare-brise vers les optiques, jusqu’à l’altitude des pieds des passagers. Ce point aussi est un classique dans la recherche et le développement esthétique menés par le bureau de style Peugeot : souvent, les concepts ont tenté de conjuguer un capot long, à l’ancienne, et un habitacle plongeant vers l’avant. Pour cela, les designers jouaient avec les formes du pare-brise, parfois en le courbant (comme sur les concepts RC carreau et pique, ou RC Hybrid), parfois en ménageant un fenestron latéral (sur E-Legend, et ici sur Inception), ou bien encore en structurant une bulle transparente propulsant l’habitacle jusqu’à la proue, comme ici, de nouveau, sur Inception, et c’est sur ce point que cette proposition fait penser à la magnifique Proxima qui en constituait, presque, une préfiguration, conjuguant une face avant aux optiques classiques à une architecture générale spectaculairement anticipatrice.

Ce qui est dès lors intéressant dans cette nouvelle proposition, c’est la façon dont elle tisse ensemble un vocabulaire actuel, des éléments tirés du passé et des propositions encore considérées comme futuristes.

L’actualité, c’est en particulier le vitrage latéral qui reprend les angles particuliers structurant l’arrière du 3008 ; c’est aussi la mise en scène des griffes, à l’avant et à l’arrière, telles qu’on les connait, mine de rien, depuis la 508 rxh, et telles qu’on les a vues se développer sur le facies des 208, puis de la 9×8.

La tradition, c’est la façon dont, bien sûr, la calandre reproduit le visage des Peugeot classiques, en particulier la 505, dernière sochalienne à présenter un visage simultanément sobre et intimidant. On avait déjà évoqué le désir secret de voir le dessin des Peugeot reprendre cette simplicité originelle, dessinée par le profil des ailes avant autour d’un ensemble constitué, presque seulement, par les optiques. Le Fusion Mask est appelé à devenir l’architecture frontale des Peugeot à venir dès qu’il s’agira de remplacer les actuelles 208. Sur un principe qui fait penser à ce qu’Opel propose avec le Vizor, les lionnes devraient esquisser leur regard grâce à un treillis de tracés lumineux, dont on peut imaginer qu’il puisse évoluer selon les modèles, selon les finitions ou encore les générations. Le risque, auquel il faudra être attentif, c’est que finalement une même pièce puisse afficher les caractéristiques identitaires de diverses marques du groupe Stellantis : Dodge aux USA, Peugeot en France, Opel en Allemagne ou Alfa Romeo en Italie. Parions pour le moment sur le choix d’une distinction forte des marques au sein du groupe. Mais il faut reconnaître que si la calandre est constituée d’une matrice permettant une variété d’affichages, une telle mise en commun est techniquement envisageable. Mais la tradition, on la trouve aussi dans la façon dont la lunette arrière est enchâssée entre les montants, comme elle l’était sur le coupé 406, sur E-Legend, sur le coupé 504 pour ne citer que quelques exemples, tout comme on peut la deviner dans le principe d’un habitacle dont la perspective visuelle n’est pas rompue par la présence d’appui-têtes proéminents : comme sur une 504, cet élément de confort est ici intégré aux sièges en dessous de la ligne du vitrage, augmentant l’impression intérieure d’espace. Cette réflexion, déjà lancée sur E-Legend, est poursuivie ici et se développe en préservant, comme sur ce concept désormais classique, la transparence de ses immenses vitrages.

La prospective a ceci de particulier, ici, qu’on sait déjà qu’elle va être partiellement mise en œuvre assez prochainement. C’est l’hypersquare, c’est la face arrière dont on devine qu’elle sera sans doute un peu moins aiguisée et clivante que ce qui est proposé ici, et c’est le facies affirmé constitué par le Fusion Mask. C’est aussi la façon dont est pensé l’intérieur, un peu moins comme un cockpit d’avion de chasse, et un peu plus comme un lieu de vie offrant un point de vue sur l’environnement dans lequel il évolue.

C’est sans doute cet esprit très synthétique qui a pour effet qu’on voit dans Inception l’évocation de modèles qui lui sont parfois très distants. Pour ma part, la tension de ses lignes, son format très géométrique qui a incité certains à citer les pans coupé du pickup Tesla Cybertruck, me rappellent le langage formel de l’Aston Martin Bulldog. Bien que les deux propositions n’aient, à strictement parler, rien à voir l’une avec l’autre, j’ai l’impression qu’à distance on a réinterprété la volonté de tracer des volumes brutalistiquement graphiques, de sculpter des proportions spectaculaires et de conjuguer des effets esthétiques parfois antagonistes. Peugeot ajoute à cette volonté une façon de créer de la complexité volumétrique, de creuser les surfaces pour les superposer et donner à l’œil le désir d’explorer cet univers nouveau.

On sait déjà que le prochain 3008 ne sera pas l’héritier de ce que propose Inception. A vrai dire, savoir à l’avance que c’est le format d’une 208 qui étrennera ces nouveaux éléments de style a quelque chose d’intriguant, et d’excitant. Evidemment, le fait que ce concept s’apparente à une berline provoque aussi le désir de voir la 508 ne pas rester lettre morte, bien qu’on sache qu’a priori ce segment au succès un peu trop anecdotique devrait ne pas avoir de descendance. Peu importe. Inception attise le désir tout en froissant un peu, au passage notre sensibilité. Ce concept met l’eau à la bouche. C’est que nous sommes comme les félins, nous avons les dents longues. Par avance, Peugeot les affute et, avec elles, aiguise notre appétit. Une part de nos méditations consiste à projeter ce qu’Inception dévoile dans les modèles dont, désormais, Matthias Hossann porte la responsabilité stylistique. On devine qu’on va être intrigué, que certains aspects des futurs modèles vont nous surprendre, peut-être même nous interloquer. C’est une bonne chose. C’est qu’il y a de la vie dans ce bureau de style, et que nos sens vont être, encore, cultivés.

2 Comments

  1. Un futur immediat « tres froid » et technoide que nous présente ce clip. En dehors du.. joystick ? .. effectivement quelques pistes stylistiques dont les inusables griffes felines toujours revisités. Cela fonctionne assez bien, tel ce bandeau monobloc optique arrière. Pour en revenir à la .. télécommande? .. on annonce ici le  » by wire » , la disparition de la colonne de direction, et la liberté qu’ apporte la disparition de l’airbag conducteur dans le volant. Si cela apparaît en 2025 sur une 208 , nul doute que celà soit le top départ chez tout les constructeurs. A suivre.

    • Je vais revenir, très prochainement, sur cet intérieur. Après y avoir réfléchi un peu, et avoir échangé brièvement, mais de façon intéressante avec Matthias Hossann, on peut émettre quelques idées, qui ne seront évidemment pas des prédictions, mais une façon de tracer quelques perspectives, certes hypothétiques.

      J’y travaille, entre deux paquets de copies !

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