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Quand les gens osent faire quelque chose, on peut observer en eux une tension entre deux mouvements contradictoires. D’un côté, ils se disent « Tant pis. On y va », et ils se lancent dans l’action en mode « On verra bien ». Mais de l’autre, ils jettent quand même un coup d’œil autour d’eux, histoire d’observer comment ça réagit du côté des observateurs : on fronce les sourcils ? On se frotte les mains ? On a la banane ? Les audacieux ne font pas tout à fait abstraction du public, dont ils guettent en fait l’approbation, histoire de se dire que l’idée qu’ils ont eue, et qu’ils sont en train de mettre en œuvre devant tout le monde, peut trouver un écho dans d’autres pensées, chez d’autres subjectivités, et qu’ils ne sont pas en train de rouler sur une monumentale fausse route.

Et après tout, après des décennies de mise en scène d’êtres et d’objets très sûrs d’eux, il est peut être temps de redonner au doute ses lettres de noblesse, parce que l’incertitude est plus féconde qu’on ne le dit, parce que le questionnement est une attitude fertile, parce que les préjugés, les convictions fermes, les idées arrêtées, les dogmes et les jugements définitifs sont finalement les signes d’une fragilité d’autant plus profonde qu’on ne se l’avoue pas et qu’on la dissimule, en s’accrochant à la première certitude qui passe sous la main, fondant une vie entière sur des éléments dont rien, absolument rien, ne permet d’être certain qu’ils soient dignes de confiance.

Coup sur coup, le groupe Mini-BMW vient de montrer qu’il était capable de douter de lui-même. Sous la forme d’un concept Mini un peu déroutant, le Vision Urbanaut. Et juste avant, en présentant un véritable nouveau modèle, disruptif pour la marque qui le fait naître, l’iX, gros SUV qui a la double caractéristique de ne rouler qu’à l’électricité, et de ne rendre que le strict minimum syndical d’hommages à la lignée invraisemblable des ancêtres qui l’ont précédé au sein de sa propre marque. Comme si BMW commençait à prendre conscience d’un truc, comme la nécessité de se remettre profondément en question se faisait plus pressante pour ne pas risquer d’être balayé par le vent de l’histoire. 2020 l’aura clairement montré : l’impensable, ça arrive. Et l’impensé, c’est précisément le genre d’iceberg qui guette les machines industrielles, pour mieux se mettre sur leur trajectoire là où leur inertie les entrainera, quoi qu’elles fassent pour l’éviter, pile poil sur l’obstacle, et droit vers la catastrophe.

Il y a un truc évident dans l’attitude récente du groupe : chez BMW, on a beaucoup appris de l’émergence surprise de Tesla. Et plutôt que s’arcbouter contre cette nouvelle manière de faire, la marque fait à Tesla ce que l’Empire romain avait fait du christianisme : elle accueille ce style nouveau, et elle lui donne une place. Ainsi, dans la série de spots ironiques lancée quelques jours avant la révélation de l’iX, Tesla est carrément citée, et il faut y voir une forme d’hommage. BMW reconnaît le geste de son adversaire, sa vision, sa rapidité, son aptitude à créer depuis une page blanche, et la marque se dit qu’elle peut trouver là, mieux qu’un adversaire ; un modèle et une source de renouveau.

Notons au passage que cette association entre le mouvement actuel et les formes intemporelles de la tradition, c’est précisément ce que Baudelaire désignait comme « moderne ». Et là, je vous propose d’arrêter votre lecture le temps qu’il vous plaira, pour méditer ce concept.

C’est bon ?

Reprenons.

A vrai dire, BMW n’est pas la première marque à mettre ses pieds dans les pas de Tesla. Mercedes le fait depuis un moment, Audi multiplie les propositions de modèles électriques ambitieux. Mais chez BMW, avaler cette pilule provoque davantage de hauts le cœur, ravageant sur son passage la tradition et la culture que la marque avait consciencieusement constituées au long de son histoire. Une BMW sans pots d’échappements ? Impossible. Une BMW sans le feulement d’un multicylindres poussé dans ses hauts régimes ? Impossible. Mais si l’impossible devenait la loi, ou pour le dire autrement, si la définition actuelle de BMW devenait précisément ce qui est interdit, que se passerait-il ? De toute évidence, la marque se dit, comme toutes les autres, qu’elle n’avait pas vu venir Tesla, et qu’il ne faudrait peut-être pas rater le prochain virage de l’histoire.

Mais à la différence des autres, qui font comme si de rien n’était, qui présentent cette évolution comme une façon de pousser plus loin leur véritable nature, BMW ne fait pas semblant. Et c’est peut-être là qu’il faut chercher les raisons pour lesquelles on retrouve si peu de signes archétypiques de la marque dans l’iX : les choses changent vraiment. Et un certain nombres d’aspects des BMW classiques font les frais de ce changement.

Le talent de cette marque, ces temps ci, c’est de ne pas jouer les innocentes. Au contraire, comme elle sait que la clientèle va se cabrer un peu, comme elle est consciente que les fans vont rejeter naturellement ces nouvelles formes et ces nouvelles propositions techniques comme un organisme rejetterait un corps étranger, elle prend le temps d’accompagner le public, et de mettre en scène ce refus collectif de l’obstacle en reconnaissant, simplement, qu’il faut faire le deuil de quelque chose. Dès la présentation de l’iX, un spot affichait les réactions hostiles via les commentaires exprimés sur les réseaux sociaux. Ce faisant, elle faisait mine d’accepter la critique pour mieux la dépasser. On pouvait y voir une forme de mépris de l’opinion publique – mais on pense que le mépris de l’opinion publique est le signe qui permet de distinguer la création de la simple production -, on pouvait y voir, aussi, la reconnaissance d’une nécessité qu’il faut maintenant dépasser : si vous voulez une BM à l’ancienne, il faudra bientôt acheter une ancienne BMW. Et après tout, le conseil n’est pas si con que ça.

Ainsi, c’est au volant d’un coupé 3000 CS que Christoph Waltz débarque au siège de BMW pour se faire présenter le nouveau venu par le patron, Oliver Zipse en personne. Entrant comme le ferait un habitué des lieux, il monte directement au bureau du chef, qu’il aborde avec la familiarité de ceux qui sont censés partager les mêmes vues sur le monde. Mais, dès qu’il remet, à contrecœur, les clés au voiturier, on sent que l’affaire est loin d’être gagnée, et que les motifs de divergence risquent de porter un coup fatal à la belle entente qui semblait jusque-là régner entre Waltz et BM. Et il fallait bien la finesse du jeu tout en non-dits et en subtilité de cet acteur pour exprimer ce qui peut traverser l’esprit d’un amateur de bonne volonté, certes, mais qui sait aussi pourquoi il aime cette marque plutôt qu’une autre, au moment où il découvre ce monolithe électrique.

Tout, dans le spot, est absolument parfait. Chaque chose est à sa place, le petit jeu que le scénario tisse entre Christoph Waltz et le voiturier est en même temps marrant et signifiant, inscrivant le passage de relais dans le plan du parking souterrain. On lit sur le visage de Waltz toute l’ironie avec laquelle on a envie d’aborder cet iX, et toute la politesse qui fait défaut aux apprentis polémistes sur les réseaux sociaux, ce savoir-vivre qui a pour effet que, finalement, on peut tout de même goûter le chou-fleur avant de décréter dogmatiquement qu’on ne l’aime pas. Et inversement, il faut à Oliver Zipse toute la bienveillance et le sens du dialogue intelligent dont on est capable quand on se met, un peu, à la place de l’autre, pour saisir au vol les sous-entendus que lui lance Waltz, et pour l’accompagner, malgré tout, dans cette découverte.

Le spot dure plus de 5 minutes, et ça laisse le temps aux impressions de s’installer et de faire leur chemin dans l’esprit de Christoph Waltz, et par écho, dans le nôtre. Ainsi, le reaction shot qui suit le dévoilement de l’iX par Zipse vaut tous les discours. On ne regarde pas l’engin, on regarde Waltz regarder l’engin. Et ses réactions dictent les nôtres. A l’échelle d’un spot publicitaire, ce très long plan sur son regard plus que sceptique devant cette création dit absolument tout de ce qu’on a pu ressentir quand on a découvert ce nouveau modèle. Et en mettant en scène ce regard, BMW nous dit « On sait ».

Ca nous est arrivé, gamin, d’ouvrir un cadeau à Noël, et de découvrir qu’on ne nous a pas offert ce qu’on voulait. Mais un parent, c’est aussi celui qui met la main sur l’épaule pour accompagner la déception, et expliquer pourquoi, parfois, ce qu’on ne connaît pas peut satisfaire plus encore que ce qu’on attendait ; qu’on a grandi sans même s’en apercevoir ; qu’un père, c’est celui qui sait à l’avance qui on est en train de devenir, et qui est capable d’offrir à son enfant ce dont il ne sait pas encore qu’il le désire, et qu’une mère peut savoir mieux que son enfant lui-même ce qui peut le satisfaire, à condition bien sûr qu’on soit dans une relation de confiance, et une volonté d’inviter l’enfant à des expériences qui le feront grandir.

BMW nous met la main sur l’épaule, et nous dit, « Je sais ce que tu ressens ». Et Christoph Waltz a pour mission d’incarner ce que peut être notre attitude après le premier moment de scepticisme, afin que le doute laisse peu à peu la place à la curiosité cynique, puis à un véritable intérêt pour ce qui semblait a priori relever d’un autre monde que le sien. Alors, évidemment, BMW n’est pas en train de nous faire un cadeau : la marque tente simplement de nous vendre un nouveau produit. On se permettra donc d’être un tout petit peu méfiant envers cette main qui se pose sur notre épaule. Mais si on devait se méfier de tout ce qui n’est pas gratuit, il est probable qu’il faudrait se méfier, en gros, de tout. De fait, le commerce est une des modalités de l’échange entre les êtres humains, et le message promotionnel peut aussi, parfois, prendre la forme d’un dialogue. Alors, quand dans un spot institutionnel, une marque va chercher le boss, et lui trouve un interlocuteur de cette qualité, c’est probablement qu’elle a quelque chose à nous dire, et qu’elle se dit qu’on a, nous aussi, deux trois trucs à lui dire. Qu’elle parvienne à mettre en scène ce dialogue nécessaire est un peu miraculeux, et vaut à soi seul le détour.

Mais on sent bien que BM a besoin de nous dire des choses à propos de ce nouveau modèle, sans doute plus encore que pour les autres. C’est pourquoi je vous ai compilé la majeure partie du matériel vidéo accompagnant cette sortie. La série des Chasing iNext vaut, vraiment, le déplacement. Elle est ironique, et je pense que ses concepteurs savent qu’on regarde ça avec une ironie semblable. Et c’est intéressant, la comm’, quand personne n’est dupe.

Bref, vous pouvez ensuite chercher le film de présentation de la nouvelle Mercedes Maybach, et constater à quel point le monde d’avant, c’est dans ce genre de choses qu’il se met en scène. Quant à celui d’après, il est probable que face à lui, nous ayons à nous tenir, un bon moment, dans la position et l’allure qu’adopte Christoph Waltz devant ce « SAV ». Mais l’avenir a ceci de certain : nous y viendrons. Qu’on le veuille, ou non.

2 Comments

    • Comme ça, a priori, j’aurais tendance à penser que l’Ix n’est pas fait pour ça. Ce serait un peu comme si après la Safrane Biturbo, Renault s’était mis en tête de produire une Vel Satis RS. Il y aurait une contradiction dans les termes, une déchirure à l’intérieur même du modèle qui le rendrait impossible. Le physique de l’Ix me semble avoir au moins cette qualité, qu’on l’aime ou pas : il est difficile d’y toucher sans remettre en question sa cohérence. Paradoxalement, cette tentative de tuning sur sa base montre assez bien que le dessin d’origine est, finalement, plutôt réussi.

      A la limite, il faudrait faire quelque chose de purement expérimental et conceptuel, à la façon dont Renault avait totalement détourné son propre Espace pour greffer, au beau milieu de son habitacle soudain beaucoup moins familial, un moteur de F1.

      Mais dans l’univers de la production industrielle et commerciale, l’Ix est probablement très bien tel qu’il est.

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