Secret service

In Advertising, Mercedes, Pantera
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Qui ne s’est pas déjà demandé ce qui se passe en coulisses, une fois qu’on a laissé le volant, qu’on a tourné le dos, et que le voiturier a disparu à l’angle de la rue, à bord de notre précieux bolide ?

Qui ça ? Moi par exemple, car pour ma part je n’ai jamais eu recours aux services d’un voiturier. Ou plutôt si, une fois, à Reims où avec quelques amis nous étions allés simplement prendre un thé au domaine des Crayères. Nous étions dans les années 90 et je roulais au quotidien en 2cv. Aussi est-ce dans le registre un peu aigu du bicylindre que nous sommes arrivés là où des voituriers attendaient pour prendre en charge nos carrosses. J’ai tiré sur la longue tige du frein à main, suis descendu de voiture, et un jeune homme amusé s’est installé au grand volant, constatant que le levier de vitesse était déjà engagé en première alors que le moteur tournait encore. « C’est un embrayage centrifuge, c’est comme une mobylette » lui ai-je dit, et il comprit suffisamment le message pour ne pas s’inquiéter davantage, et décoller vers le parking, pétaradant au milieu des berlines silencieuses. Il s’en sortit un peu moins bien au moment de m’avancer ma fidèle partenaire pour que nous reprenions la route : je vis le chauffeur placier revenir vers moi à pieds, trousseau de petites clés à la main : elle avait refusé de démarrer sous son doigt. Il avait pourtant bien identifié le bouton qui lançait le démarreur, mais celui-ci réclamait l’accompagnement d’un savant coup de gaz pour que la vieille dame daigne s’éveiller et ébrouer son moteur refroidi par air.

Et je doute fort qu’en la garant, le voiturier ait réalisé la moindre figure de style, quand bien même on pouvait s’amuser un peu au volant d’une deuche.

Mais si on met le même petit employé au volant des voitures usuelles de la clientèle d’un tel lieu, doit-on imaginer le pire ?

Mercedes verse une pièce au dossier de cette question, en levant le voile sur l’art et la manière de garer une bagnole quand on n’en est pas propriétaire. Et c’est un festival de donuts, de créneaux négociés au frein à main, de gomme cramée sur le goudron et de figures de styles exécutées en plein vol tout en tentant d’échapper à la police. Méfiance, méfiance, Freddy, Rusty et Ace ont un petit air faux cul qui rassure au moment de leur lancer négligemment les clés, mais sitôt le proprio hors de vue, ce sont trois petites teignes qui dansent avec arrogance sur le parking en attendant le client, et lancent les MercoBenz dans de folles chorégraphies dès qu’on leur en confie le volant.

Pourquoi tant de peur dans un spot Mercedes ? Parce qu’il s’agit de faire la promotion du système de parking automatique des tout derniers modèles. Ou plutôt de s’en faire les avocats car, si technologiquement, les voitures sont prêtes à entrer et sortir des places en épi comme des emplacements en bataille sans que personne ne se trouve au volant, en réalité les divas du parking n’ont absolument pas le droit d’exécuter ce genre de figure dans l’espace public. Et un parking, c’est une portion d’espace public. Frustration pour la clientèle qui tient là un effet de prestidigitation discrètement spectaculaire, et sursis pour les voituriers qui devront attendre encore un peu avant de disparaître.


Je me disais que la publicité était étonnamment marrante pour une voiture qui s’adresse à ceux d’entre nous qui sont tellement fortunés qu’on ne plus vraiment dire d’eux qu’ils sont « entre nous ». Vous avez peut-être remarqué, l’humour est une valeur de pauvre : aux modèles les plus modestes les spots qui font rire. Du côté de l’élite, on tire davantage la gueule. Est-ce le fait de capter la richesse produite par les autres qui rend si morose ou hermétique au sourire ? On ne sait. Toujours est-il que l’usage veut qu’on parle sérieusement aux riches, et qu’avec les plus modestes, on se tape collectivement le cul par terre de rire. Mais du coup, le spot réalisé par Pantera (dont on avait déjà évoqué le chouette film faisant la promotion des airbags pour passagers arrière dans le beau, mais aussi déjà problématique spot Blowfish tourné, lui aussi, pour Mercedes) semble ne pas s’adresser à la future clientèle du haut de gamme Mercedes. Et voila qui vient appuyer une thèse qu’on tisse peu à peu à propos des publicités vantant les mérites d’automobiles de luxe : elles ne s’adressent pas vraiment au client potentiel de ce genre de proposition, mais aux autres, ceux qui seront les témoins de cet achat et de cette propriété.

Et c’est finement joué, pour un équipement qui assurera nécessairement le spectacle là où il sera mis en fonction. Parce qu’on voit très bien la scène : la Merco-Benz à l’équerre dans l’allée du parking, les portes qui s’ouvrent, la totalité des occupants qui descendent, ferment les portes puis la voiture qui recule toute seule dans l’emplacement visé sous le regard ébahi des badauds. Emprise totale sur le petit peuple de ceux qui garent eux-mêmes leur moyen de déplacement. Car le monde est mal fait : c’est à ceux qui disposent de voituriers là où ils se rendent que la technique propose ce service dont ils n’ont dès lors pas besoin, puisqu’au-delà d’un certain seuil de prix, on a moins besoin d’équipements : on a des employés pour prendre en charge tous les aspects un peu pénibles de l’existence. Les équipements, c’est fait pour ceux qui n’ont pas les moyens de se payer du petit personnel.

Mais si cette publicité choisit ce ton un peu particulier pour faire la promotion du haut de gamme Mercedes, c’est tout simplement parce qu’elle ne s’adresse pas au client, mais à ceux dont les yeux s’ouvriront tout grand quand ils verront cette fonction à l’oeuvre. Ca aussi, ça fait partie des équipements livrés de série dans les modèles de ce genre. Cette caractéristique, la publicité la met en scène au moment où une jeune et belle conductrice (c’est à dire, vraiment, le client typique des limousines Mercedes n’est-ce pas ?) passe au ralenti devant nos trois voituriers au volant du tout dernier modèle, qui est justement capable de se passer de leurs services. On pourrait penser qu’elle les regarde, alors qu’elle translate devant eux. En fait, ce n’est pas tout à fait ça : elle ne les regarde pas eux. Elle regarde leur regard posé sur elle. Elle regarde le fait qu’ils la regardent. A ce moment précis, le client potentiel sait pourquoi il pourrait acheter cette voiture. A strictement parler, on s’en fout un peu des fonctions de parking automatique. Qui va réellement utiliser cette fonction ? C’est à dire : qui va garer une Classe S dans un emplacement trop étroit pour elle, à dix centimètres de la voiture voisine, c’est à dire trop près pour que le propriétaire de celle-ci puisse se glisser dans sa propre bagnole sans se frotter copieusement contre les belles surfaces lustrées de la grosse allemande ? Personne. Et à vrai dire, l’utiliser devant les autres, c’est en faire un peu trop. Pas de panique, la publicité est là pour ça, elle diffuse l’information : cette voiture est dotée de cet équipement. Elle pourrait se garer toute seul si on voulait qu’elle le fasse. Et désormais, tous ceux qui auront vu cette publicité sauront quels pouvoirs secrets couvent sous cette pachydermique carrosserie. Et pourquoi est-ce qu’on aurait vu cette publicité alors qu’elle montre un produit qu’on n’achètera pas ? Parce qu’elle est marrante, justement, et que nous autres pauvres, on a le sens de l’humour ! Et on sait bien par où il faut nous attraper, si on veut capter notre attention.

Peu importe, dès lors, que les lois et réglementations se mettent ou pas au diapason des aptitudes techniques de ces modèles. Cet équipement n’est pas là pour qu’on s’en serve, il est là pour que les autres sachent que cette fonction sommeille quelque part sous le capot, ou ailleurs on ne sait pas très bien, pour qu’on soit conscient que le conducteur pourrait laisser sa bagnole au beau milieu de la rue et se tirer négligemment, laissant la berline se garer toute seule ; il pourrait, mais il ne le fera pas car, si la voiture se gare toute seule, à quel petit employé pourra-t-on lancer les clés, qui les attrapera au vol comme s’il partageait avec ce conducteur une quelconque forme de réelle complicité ?

Les marques qui vendent ce genre de véhicule ne peuvent pas ignorer cette limite, qu’ils devront indéfiniment respecter : il faut qu’un certain nombre d’usages réclament encore du petit personnel que le client aura à sa disposition. Parce qu’il n’y a aucune supériorité sociale, aucune domination à l’œuvre quand on commande à sa voiture de réaliser une opération complexe. Il demeurera beaucoup plus satisfaisant de croire que tout un petit peuple est à votre service, n’attendant que votre arrivée pour vous faire des courbettes et prendre en charge les gestes qui vous tannent. Et si un jour ces systèmes automatiques de parking venaient à être réellement utilisés, on peut parier qu’on ouvrirait la porte, on descendrait de voiture, on lancerait les clés à un voiturier, pour qu’il vienne lui-même appuyer sur le bouton lançant le processus automatique. On va pas tout faire non plus.

Allez, un dernier petit plaisir coupable pour la route : vous l’avez vue, la perfidie de la publicité Mercedes ? Si sur les parkings on s’amuse bien avec les Mercedes, en revanche, une Ferrari ne peut servir qu’à une chose : y faire la sieste. Quand on dit que l’univers de la publicité est celui de l’inversion de valeurs…

2 Comments

  1. Il est curieux de constater que les modèles Mercédès mis en scène et « maltraités » datent des « early 90’s » !

    Et si cette pub se veut le reflet de la vision des « élites » sur le « petit peuple », ce n’est pas très glorieux pour ce dernier. A se demander pourquoi le regard des « prolétaires » bêtes, négligeants et ignorants sur leurs luxueuses berlines est si important…

    • Je suis très lent à répondre, mais je suis bien d’accord : il y a un paradoxe à chercher le regard admiratif de ceux que, par ailleurs, on méprise. Mais c’est aussi comme ça que fonctionne ce monde !

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